Payot - Marque Page - Arno Geiger - Tout sur Sally
On dit souvent que les malades déments sont comme des petits enfants -rares sont les textes sur le sujet qui vous épargnent cette métaphore ; c’est fâcheux. Car il est impossible qu’un adulte retombe en enfance, quand c’est la nature même de l’enfant de se développer sans cesse. Les enfants acquièrent des facultés, les personnes atteintes de démence en perdent. Le commerce des enfants vous enseigne à mieux voir les progrès, celui des malades déments les pertes. La vérité, c’est que l’âge ne vous restitue rien, c’est une glissade, et l’un des plus gros soucis que la vieillesse puisse vous causer, c’est qu’elle dure bien trop longtemps.
La maladie ne rongeait pas seulement le cerveau de mon père, mais l’image que je m’étais faite de lui étant enfant. Toute mon enfance j’avais été fier d’être son fils. Maintenant je le tenais de plus en plus pour un esprit faible.
Jacques Derrida devait avoir raison de le dire : On ne cesse d’implorer pardon quand on écrit.
Parfois on apprend davantage en un instant qu'en une année entière d'école.
La vérité, c'est que l'âge ne vous restitue rien, c'est une glissade, et l'un des plus gros soucis que la veillesse puisse vous causer, c'est qu'elle dure bien trop longtemps.
Parce que nous croyons, étant enfants, que nos parents sont forts et qu'ils affronteront les épreuves de la vie avec fermeté, nous leur pardonnons beaucoup moins facilement qu'à d'autres ces faiblesses qui apparaissent peu à peu.
Et il est faux de prétendre que les adultes sont moins curieux qu'eux [les enfants ] et s'imaginent tout savoir. Ces adultes-là existent, bien entendu (...)
Je suis d'avis qu'on apprend certes à mieux connaître le monde chaque jour, mais que notre étonnement ne faiblit pas pour autant. C'est tout le contraire. Et nos doutes grandissent eux aussi. Moins je suis sûr de moi, plus je me sens mûr. ( "Portrait à l'hippopotame", Gallimard, 2017, p. 58)
Il avait pleinement conscience que cultiver ainsi des orchidées, en cette cinquième année de guerre, le désignait secrètement comme ennemi aux yeux de ceux qui se demandaient ce qui convenait au sol de ce pays, hormis le sang.
S'il est vrai qu'en arithmétique moins par moins égale plus, il n'en est rien en psychologie, où deux zéros accolés ne produiront jamais qu'un double zéro.
Je ne sais rien de plus triste qu'un instrument dont plus personne ne joue .
Voici à peu près comment je me représente la démence en cette phase moyenne où mon père se trouve en ce moment : c’est comme si l’on vous arrachait au sommeil, on ne sait pas où l’on est, les choses tournent autour de vous, les pays, les êtres, les années. On s’efforce de s’orienter mais l’on n’y parvient pas. Les choses continuent de tourner, morts, vivants, souvenirs, hallucinations semblables à des songes, lambeaux de phrases qui ne vous disent rien–et cet état ne cesse plus du reste de la journée.