« Je porte en moi tous ceux qui m'ont engendrée, à commencer par mes parents ».
Quelle stupéfaction l'auteure a dû éprouver lorsque, au cours de recherches généalogiques, elle découvrit, parmi ses ancêtres, un homme condamné à mort aux Assises de Liège au milieu du dix-neuvième siècle.
Ce point de départ m'a passionnée. Elle pose la question plus large de nos ancêtres lointains, au-delà de nos grands-parents, voire de nos arrières grands-parents, tous tombés dans les oubliettes, à moins d'avoir particulièrement marqué l'histoire par leurs actions, bonnes ou mauvaises, ou leur génie.
Qui sont nos ancêtres, ceux que nous ne connaissons pas, ceux dont nos proches ne nous parlent plus, dont il ne reste rien, dont nous ignorons tout et que des recherches généalogiques, justement, permettent d'en découvrir au mieux les noms et la longévité, et, plus rarement, grâce à de patientes, fastidieuses mais passionnantes recherches, le métier, le caractère, le mode de vie, en replaçant ce simple nom dans un contexte historique et social. L'imagination, ensuite, fait le reste. Et voilà notre lointain aïeul de nouveau comme ressuscité…
« Mais où sont les autres ? Les humbles, les gens ordinaires, ceux dont on ignore même le nom ? Où sont ceux qu'on a reniés ?
Plus aucun souvenir ne les rappelle. Ces vies, longues ou courtes, exaltées ou misérables, semblent avoir été englouties dans les ténèbres de l'oubli ».
C'est la démarche courageuse qu'a entreprise
Pascale van Schendel sur ce personnage intriguant, Ignace, condamné à mort. Au moyen d'une reconstitution minutieuse de la ruralité du milieu du dix-neuvième siècle en pleine campagne hesbignonne, dans le village de Harcourt, l'auteure retrace sa vie, imagine ses aspirations, ses rêves de grandeur et d'argent, conduisant ce campagnard d'origine modeste à commettre de nombreuses infractions punies alors par la peine de mort. Par curiosité ? Sans doute. Mais surtout, j'imagine, pour se délester d'un poids transmis de génération en génération, pour tenter de comprendre et extérioriser cette histoire quelque peu devenu tabou, panser une blessure familiale et pouvoir enfin continuer sans cette chaîne, certes devenue invisible avec le temps mais pourtant bien présente. C'est inimaginable ce que nous transmettons d'invisible à nos enfants, le poids d'histoires parfois très anciennes qui se sont enracinées, qui portent leur poids de honte et de silence.
Pascale van Schendel a fait le choix d'un récit court, presque une longue nouvelle, une « novella » comme nous disons pour les récits se situant entre le roman et la nouvelle, se concentrant uniquement sur les faits, sur le processus de la chute de l'ancêtre, sans prendre parti, sans tentative d'analyse psychologique, en étant juste spectatrice de son aïeul. C'est une façon de faire pudique et délicate.
Je me suis imaginée la même histoire écrite « à la façon » d'un
Grégoire Bouillier ou d'un
Philippe Jaenada, donnant lieu à différents angles, différents points de vue, une enquête sociologique, économiques, historique très poussée…Deux façon de faire totalement opposées qui donnent un sens différent à l'entreprise.
A la tentative d'extériorisation des ténèbres pour mettre en lumière toute la singularité d'un personnage lointain avec lequel on partage le même sang de la première démarche, répond la volonté de faire une étude exhaustive d'un personnage pour toucher à l'universel, de partir du fait divers pour en faire une étude sociologique collective de la seconde démarche.
Ce que j'ai aimé dans ce livre, c'est qu'il n'est pas dans un entre deux maladroit entre l'une ou l'autre façon de faire. Il est court, remplit sa mission en se concentrant sur les faits dans un contexte socio-historique bien amené, ces faits étant entourés d'une préface qui explique la démarche et un prologue qui permet à l'auteure de conclure sur le sens de cette démarche salvatrice, sans fioriture ni emphase, permettant de réconcilier le passé et le présent.
Je me suis longuement interrogée sur l'origine du titre. Je n'ai pas demandé d'explication à l'auteure. Je veux en garder tout le mystère. En faisant quelques recherches j'ai découvert que le Roi Pêcheur, ou Roi blessé, figure dans la légende arthurienne comme le dernier d'une lignée chargée de veiller sur le Saint Graal. le récit de son histoire semble varier mais, à chaque fois, il est blessé aux jambes ou à l'aine et est incapable de se mouvoir seul. Depuis sa blessure, son royaume semble partager ses souffrances, comme si l'infirmité de ce roi rendait la terre stérile. Seul l'élu, le « bon chevalier » pourra accomplir le miracle de soigner le Roi Pêcheur.
Il me semble que l'auteure a voulu établir un parallèle avec sa lignée familiale blessée par ce fait divers rendant la famille comme souffrante, malade et que seule une certaine action peut ainsi délivrer, libérer. Certes, l'auteure s'interroge sur son droit de briser ainsi le sceau du secret, sur la trahison qu'elle commet peut-être. J'aime penser que ce livre peut en réalité parvenir à une forme de guérison.
Pascale van Schendel, patiemment, a ôté les bandages encore sanguinolents de ce Roi Pêcheur afin de pouvoir examiner la plaie telle qu'elle est et pouvoir la faire cicatriser.
Pascale van Schendel, dont il s'agit du premier roman, présente sur Babélio (@Papou64), a entreprit une très belle démarche salvatrice. Je la remercie pour sa confiance, j'ai été très touchée par l'aspect éminemment personnel de ce récit qui m'a fait particulièrement écho et m'a fait réfléchir sur ma propre lignée, ma propre méconnaissance, mes propres casseroles. J'aimerais avoir son courage et sa persévérance pour mettre en lumière également certains fantômes du passé et leur donner ainsi voix au chapitre au-delà des préjugés, des clichés propres à une certaine époque, à certains lieux. Une littérature psycho-généalogique en quelque sorte…