James Wyllie propose l'histoire comparée de deux frères qui, s'ils n'ont pas partagé grand-chose, ont maintenu leurs relations fraternelles jusqu'au bout, alors que leurs états d'esprit étaient opposés.
D'un côté, une personnalité du nazisme, le numéro deux du régime, l'ancien « as » de la grande guerre : Hermann Goering. Les images du chef nazi bedonnant se pavanant en uniforme constellé de décorations, ou déguisé dans son domaine de Carinhall, sont connues. Ce qu'on en apprend dépasse ce cliché.
De l'autre, son frère – ou peut-être demi-frère selon ce que Wyllie explique, Albert Goering. Un ingénieur en mécanique qui a tracé sa voie loin de son frère et qui surtout a toujours repoussé le régime nazi.
Les deux ont été recueillis, après que leur père diplomate ait perdu son poste, par leur parrain, Herrmann von Epenstein. Ce riche homme d'affaire, juif converti, anobli par le Kaiser, était accessoirement l'amant de la mère d'Hermann et d'Albert. Et comme Alfred, le cadet, est né lors du séjour allemand des Goering, et qu'Alfred a physiquement peu en commun avec Hermann, le doute est permis sur sa filiation.
Les deux frères vivent dans les châteaux médiévaux de Veldenstein et de Mauterndorf, où leur parrain loge la famille. Puis ils partent en pension, l'un dans un lycée militaire, l'autre dans une Technische Hochschule.
La première guerre mondiale survient. Hermann s'engage dans l'aviation, devient un de ces pilotes aux nombreuses victoires (réelles ou revendiquées). Son score reste loin de celui de Manfred von Richtofen. Mais le Baron rouge meurt au combat, alors que Hermann finit la guerre à la tête de l'escadrille de ce dernier. le retour à la vie civile n'en est que plus difficile et c'est presque logiquement que Goering va se rapprocher du chef d'un parti nationaliste débutant :
Adolf Hitler. Lors de la tentative de putsch du 09 novembre 1923, Goering est aux côtés d'Hitler et est gravement blessé. Hitler séjourne en prison; Hermann lui fuit en Autriche, et devient accro à la morphine. Il devra suivre des cures de désintoxication, mais continuera à abuser de médicaments. de là date aussi son embonpoint.
Alfred a lui fait la guerre dans les transmission et après guerre se retrouve embauché chez Junkers, dans une filiale produisant des chaudières au gaz.
Hermann va participer à l'ascension d'Hitler jusqu'à devenir ministre de l'intérieur de la Prusse, président du Reichstag, puis ministre de l'aviation. Il devient de fait le numéro deux du régime. Il a beaucoup apporté au parti nazi par son entregent dans les milieux d'affaires et a su manipuler les diplomates qui l'ont approché. Il va tout mettre en oeuvre pour que l'Allemagne soit prête lors du déclenchement de la seconde guerre mondiale. Une période où progressivement son influence va décroître, avec l'échec de la Luftwaffe à maîtriser le ciel et à gagner la bataille d'Angleterre.
Albert lui poursuit son chemin : il va être un des directeurs d'une société de production cinématographique autrichienne, et commencer à partir de l'Anschluss à utiliser son nom de famille, et le pouvoir de son frère, pour permettre à des connaissances juives de s'enfuir. Il va continuer à s'opposer plus ou moins discrètement aux actions nazies lorsqu'il travaillera pendant la guerre comme directeur pour l'exportation pour la firme tchèque Skoda, à Prague puis à Bucarest. A chaque fois qu'il le peut, il permet à des famille juives de quitter les pays occupés. Il intervient auprès du roi Carol de Roumanie en ce sens.
La fin de la guerre trouve les deux frères dans la même zone prés de Salzbourg. Les deux sont capturés par les Américains. Pour le Feldmarschall Göring ce sera le procès de Nuremberg et une condamnation à mort, non exécutée car il avale un poison juste avant. Alfred, là encore poursuivi par son patronyme, est longuement interrogé en Autriche, en Allemagne, puis même jugé à Prague. Finalement libéré, il aura passé plus de deux ans en prison.
Presque aucun de ses interrogateurs n'aura vérifié la liste des personnes pour lesquelles il disait être intervenu. Et, même libéré, il ne pouvait se faire réembaucher sans que son nom ne le condamne à être aussitôt licencié. Il est mort pauvre et sans que son action ne soit reconnue.
Un a agi selon ce que sa conscience lui dictait. L'autre l'a mise de côté et a participé à la mise en place d'une tuerie de masse. Les deux frères s'entendaient bien, même si à la fin de la guerre il devenait pesant à Hermann d'accéder aux demandes de son frère ou de rattraper les déclarations intempestives de son frère.
Cette double biographie, extrêmement documentée, vaut autant pour le criminel de guerre nazi que pour l'homme d'affaire qui a réussi à manoeuvrer autant que possible pour éviter le pire. Bien écrit, facile d'accès, ce livre apporte un double éclairage inédit sur cette période du vingtième siècle.