"Aux chauves-souris". Obscure dédicace à cet animal insolite qui relève de ce que
Roger Caillois appelait le "fantastique naturel".
Difficile de présenter une poésie des profondeurs et son ravissement morbide.
Ces" litanies macabres, ironiques et scandaleuses, dérangeantes aussi, sont "Dans le jet noir que vomissent les fontaines de la nuit", un hymne macabre à une Aphrodite de l'ombre.
Elles échappent à peu près à toute critique, toute formule bien pensante. Elles fleurissent sous terre mais dérobent le feu du ciel.
Délire, désir, hystérie surnaturels, l'aventure, est ici naturellement intérieure, une entreprise cérébrale, amoureuse et plastique, la mise en abîme de beautés exténuées, enfouies, comme "Celles dont l'oeil refuse de se clore."
Les éléments sentimentaux qui donnent à ces poèmes presque cruels une lumière très particulière, sont d'origine parfaitement, merveilleusement humaine.
Toutes ces images au ravissement fantastique, sont comme l'amour quand il n'échappe pas à la mélancolie, à cette floraison funèbre, presque insoutenable qui donne à ces poèmes pétris de délicatesse, de délicieux clairs-obscurs, un humour érotique sadien, une sensuelle mélancolie baudelairienne, un mystère insondable dont l'impureté serait l'obsession.
Chaque litanie est un comme un mantra, un cortège de morts imaginaires, évadé d'une poitrine inutile, d'un corps ravi à l'enchantement de la pourriture.
Un coeur ferme et mobile.
Un coeur cependant bien vivant avec sa machinerie compliquée et hors du temps.
Une musique aux intonations décadentes, une mélodie dont la phrase s'écoule jusqu'au grave d'un violon, un cantilène aux accords lugubres et hypnotiques qui ravissent jusqu'au frémissement d'une chair glacée.
"Morte guettée, ma future aux cheveux d'algues
Et ta chair enfin sera douce à mes doigts"
Un étrange procession d'ensanglantés serpentent, en silence, derrière la faucheuse du désespoir, agitant "dans les ténèbres de l'âme, sur l'infini clouté", son mouchoir de dentelle noire.
Vous ouvrez le recueil au crépuscule, et à l'aube il se referme, se fane, il ne vous reste plus qu'une grève sans décor, plus nue qu'une chimère, qu'un cadavre baroque poli dans une statue de marbre, passion morbide vouée à la mort et pourtant si vibrante, un coeur évadé dans une poitrine inutile..
"Et la terre et la nuit
Et ta cendre et ma cendre
Dans le vent dispersées"
Abysses infinies, belles à en mourir, ces "
Litanies pour une amante funèbre" s'écoutent avec un vent de liberté bruissant dans vos oreilles, soufflant son insolence contre vos tempes.
Gabrielle Wittkop nous offre sa poupée végétale "pour la tatouer de pourpre,
pour onduler ses cheveux, pour déflorer ses roses".
Un ailleurs trouble s'offre aux couleurs du néant.
"L'oeil s'effiloche, escalier tournant
Et dans le grondement des étoiles roulantes,
La tricéphale aboie aux abîmes du temps".
Merci au Vampire actif, pour ce bijou d'errance dédié à ces petits avatars littéraires condamnés à l'obscurité.
Anne Bolenne