Très beau livre à la fois instructif et vecteur de réflexion.
Le thème principal est celui de l'hermaphrodisme de Wayne Blake, né en 1968 dans le Labrador (région du Canada) mais le roman porte plus généralement sur la féminité et la masculinité qui se mêlent au sein d'un même être humain et sur leur difficile acceptation en raison des normes et des préjugés de notre société.
J'ai beaucoup apprécié le doigté de
Kathleen Winter qui, pour aborder un sujet délicat et peu courant, choisit de narrer la vie d'un jeune hermaphrodite sans jamais tomber dans le pathos ou la caricature.
La psychologie des personnages est fouillée avec soin et chaque protagoniste est campé avec minutie. Pendant la lecture, on appréhende notamment la complexité du personnage de Treadway, le père de Wayne. D'apparence assez dure et revêche, ce Labradorien est en réalité un papa très attentionné qui cherche à agir au mieux pour le bonheur de son enfant. S'il décide d'en faire un homme, c'est pour le protéger contre une société qui ne manquera pas de le faire souffrir à cause de sa différence, non par machisme ou par égoïsme personnel. Il peut être maladroit et commettre des erreurs, comme lorsqu'il détruit le pont de Wayne, mais ses intentions sont toujours louables et, contrairement aux apparences, c'est un trappeur philosophe qui puise sa sagesse dans la nature et n'est pas le rustre violent qu'on aurait pu imaginer.
La narration se construit autour du secret de l'hermaphrodisme de Wayne, ce qui crée un effet d'attente (''Comment Wayne va-t-il réagir en l'apprenant ? ») et permet au lecteur de partager les angoisses du personnage principal. Ce dernier se sent différent mais n'ose en parler à personne sauf à Thomasina, la sage-femme qui l'a mis au monde et qui l'appelle
Annabel en souvenir de la petite fille qu'elle a perdue. Cette confidente va l'aider à assumer sa véritable identité et percer le mystère qui pèse sur sa « double sexualité » depuis sa naissance.
La vérité n'est pas pour autant facile à assumer et Wayne mettra un moment avant d'accepter son corps avec un vagin, un pénis, un testicule et des seins. Cette problématique sexuelle le minera jusqu'à ce qu'il découvre, sur les campus, des êtres un peu plus à son image que les machos-violeurs de Saint-Jean, qu'il se libère du regard des autres et de la question de sa propre beauté pour se concentrer sur celle des ponts. En effet, la perspective de dessiner ces édifices à la fois massifs et dentelés, solides et gracieux, à son image, va lui ouvrir une porte sur le monde, l'avenir et l'ailleurs.