Bien que l'auteure n'ait toujours pas "honoré" ma demande d'amitié sur Babelio, je serai rigoureusement objectif, comme d'habitude (j'espère) !
En effet,
Armelle Vincent est une des nôtres sur notre site préféré (son nom et prénom en un mot), mais comme elle est correspondante de pratiquement l'ensemble de la presse française (
Le Figaro, le Point, Marianne, Elle, GÉO, XXI,
Rolling Stone etc.) à Los Angeles, son nombre d'heures de loisir doivent être comptées. Impressionné par la qualité avec laquelle elle a mis en pages le récit de
Juan Martin Guevara sur son légendaire frère, le Che, j'ai aussitôt commandé son ouvrage : "La jeune femme et le cartel", sous-titré "Un narco-roman". Un genre de romans qui m'est inconnu et qui a été pour moi comme "une invitation a la valse", pour citer
Hector Berlioz.
Son roman est plus qu'un simple roman, beaucoup plus ! En fait, il s'agit d'un "eye opener" sur l'un des plus dangereux endroits de notre globe en temps de paix, à savoir : L'État de Chihuahua au Mexique, le long de la frontière avec les États-Unis et surtout sa capitale, Ciudad Juárez. Mais en plus d'une description de la colossale criminalité dans cette "narco-capitale", l'auteure nous brosse également un tableau révélateur des relations peu simple entre Américains et Mexicains. Il est vrai qu'
Armelle Vincent connaît cette région comme probablement personne en France.
Soledad Reyes, 23 ans, est chef de la police de Puerto Cristobal, à 160 km de Ciudad Juárez. L'histoire démarre sur les chapeaux de roues, car la mignonne "jefe de policía" reçoit sur son blackberry un ultimatum d'un "sicario" (tueur) on ne peut plus clair : "Ou tu te casses, ou tu y passes." Venant d'un narco-sicario on a intérêt à prendre la menace très au sérieux. Soledad, qui vient de l'enterrement d'une collègue décapitée, sait parfaitement bien que cet avertissement provienne du jefe du cartel et qu'un sicario qui rate son coup, devient martyr. D'ailleurs, cela fait bientôt 6 mois, qu'une Chevrolet Suburban noire aux vitres polarisées et sans plaque d'immatriculation, monte la garde devant son bureau à la mairie, le jour et la nuit, devant la maison de ses parents, où elle habite. C'est aussi le 5ème appel et ses 3 prédécesseurs ont été demembrés par les sicario du "jefe de jefes", le tout-puissant maitre du cartel de la Costa, El Chato Sáenz.
La pauvre Soledad se rend parfaitement compte que ses options se sont réduites à une seule : la fuite aux États-Unis. Elle sait aussi qu'il faut qu'elle amène ses parents, si elle veut éviter que sa mère Gloria et son père Santiago, un honnête artisan, ne soient sacrifiés par vengeance à sa place. le trio arrive sans trop d'encombre à cette fameuse frontière de 3141 km et dans le poste de l'US Custom & Border Protection demande l'asile politique. Tout sauf simple, évidemment. Après un long interrogatoire débile, car les agents savent qui elle est, Gloria et sa fille, menottes aux mains et pieds sont transférées par bus au centre de détention de Loma au sud du Texas, tandis que Santiago part pour Otero au Nouveau Mexique. Avant qu'un juge ne se penche sur leur cas des semaines, mois, même des années peuvent passer pendant qu'elles poirotent dans ce centre surpeuplé, à l'écart de tout et géré par des brutes épaisses. En désespoir de cause, Gloria appelle sa soeur Gladys, mariée au traficante Alfredo Vargas, et qui habite à Colinas, petite ville collée à la frontière côté américain, pour leur trouver un avocat spécialisé en matière d'asile afin d'accélérer les procédures.
Soledad ignore que le mari de sa soeur Ximena, le séduisant Miguel Angel, est le bras droit du capo Sáenz, et que c'est lui qui a manigancé leur départ, plutôt que d'organiser leur exécution. Et s'il se montre un peu nerveux ce n'est pas tellement par souci pour le sort de sa belle-famille, mais par sa mission d'une grosse opération quasi militaire de liquidation du plus puissant cartel rival.
Ayant esquissé les prémisses de ce narco-roman, qui est loin d'être terminé et que je vous laisse découvrir, je veux m'arrêter à quelques faits.
La violence dans cette contrée est tellement inouïe qu'elle défie l'imagination de nous autres Européens. Une hécatombe de 56.000 morts en 6 ans, des fosses communes de 49 corps ou plutôt des troncs, tête et membres coupés pour rendre impossible l'identification, une guérilla urbaine "genre Bagdad ou Kaboul", le bombardement du casino de Monterrey (45 morts) etc. Certains cartels disposent d'un stock d'armes sophistiquées à rendre jaloux beaucoup d'États indépendants.
Comment vaincre cette plaie des narco-cartels ? Franchement, je l'ignore. Felipe Calderón, Président du Mexique (2006-2012), a lancé une guerre ouverte contre ces cartels, dès décembre 2006, avec l'Opération Michoacán, impliquant armée et police. S'il y a eu une certaine amélioration passagère, les résultats sont généralement considérés comme faibles et il y a eu des complaintes d'abus de la part des forces de l'ordre.
Son successeur et actuel président, Enrique Peña Nieto (°1966), semble avoir assez de problèmes avec son homologue à Washington pour trouver le temps à s'occuper des cartels. Il n'y a pas 36 solutions. En fait, une libéralisation des drogues à l'hollandaise, ferait sûrement chuter de façon draconienne les profits des cartels, mais comporte d'autres problèmes sur le plan de santé publique et convictions religieuses.
Le fond de la question est, bien entendu les énormes gains liés au trafic des drogues, qui dans une région désavantagée, voire sinistrée, séduisent les jeunes et font que les jefes des cartels n'ont aucun problème à recruter tueurs à gages et collaborateurs pour leurs sales besognes.
Aux États-Unis, la situation n'est pas beaucoup mieux pour les réfugiés des cartels : désinvolture des agents du contrôle des frontières, centres de détention lamentables, où des sociétés privées profitent scandaleusement de leur labeur d'esclaves pour des salaires honteux et où le nombre de suicides est inquiétant, et dans le désert de véritables chasses à l'homme par toutes sortes de milices et cowboys primitifs. Avec ce grand humaniste de Trump, la situation ne risque pas de s'améliorer prochainement. Plutôt le contraire !
Un mot sur le style d'
Armelle Vincent. Sa longue carrière comme journaliste pour des publications si variées, fait qu'elle dispose d'une fluidité et d'une précision de langage remarquable. Son emploi de phrases, expressions et mots espagnols ne sont nullement gênants, au contraire, à cause d'une traduction soignée, ils contribuent à l'authenticité de son histoire. Non pas qu'elle en avait un besoin urgent, car le lecteur se rend tout de suite compte que l'auteure dispose d'une très large connaissance du terrain, qu'elle nous communique avec persuasion à travers sa Soledad.
Le lecteur pourrait, devant tant de violence, croire qu'
Armelle Vincent exagère. Et bien non ! Je me suis occupé ces derniers jours à vérifier certains indices et j'ai dû me rendre compte que ce soit plutôt le contraire. Depuis la parution de son ouvrage, en 2014, la situation s'est même empiré !