Un monde coupé en deux : les riches d'un côté, qui jettent le moindre objet dès que celui-ci est un peu abîmé ; les pauvres de l'autre, qui doivent faire avec qui reste, mais ne surtout pas fouiller dans les ordures pour les récupérer. Ils risquent ainsi de défigurer la « belle ville » voulue par les privilégiés. le « vandale de la décharge », lui, ne supporte pas ce vaste gâchis. Les objets méritent d'être réparés et encore utilisés.
Comme souvent dans pas mal de mangas, la structure de base est binaire. Une image de la page 19 résume bien cette situation : elle est coupée en deux par un large mur (deux traits encadrant une bande blanche épaisse). À gauche, la ville des riches, aux bâtiments très droits, propres, bordés d'une rangée d'arbustes et laissant un vaste allée entre le mur et les premières demeures. À droite, la ville des pauvres, composée de baraques aux toits de tôles, collées contre la paroi, entassées les unes contre les autres.
Rudo (un jeune garçon, on est dans un shônen) circule, illégalement, d'un côté à l'autre. Orphelin (son père a été condamné à ort parce qu'il aurait lui-même tué), recueilli par Regto, il survit comme il peut en vendant des objets volés dans les poubelles et retapés. Il fait cela surtout parce qu'il n'accepte pas que l'on se débarrasse de jouets, d'ustensiles qui pourraient encore servir. D'autant que les habitants du côté propre ne font pas dans la dentelle. Ils jettent par dessus bord tout ce qui les dérange. Objets comme individus. En effet, les criminels, ou supposés tels sont suspendus par les bras aux limites de cette cité des nuages (on découvre alors que la ville est en fait une grosse ile flottant dans le ciel, tellement nuageux que l'on ne voit pas ce qui se trouve en dessous). Et après avoir fait la lecture de leurs crimes, ils sont lâchés dans le vide. Pas besoin d'être devin pour comprendre que c'est ce qui arrive à Rudo.
Capturé pour un meurtre qu'il n'a pas commis, le voilà exclu de sa petite existence, juste au moment où il allait peut-être connaître l'amour avec la jeune Chiwa. D'un coup, il tombe. Et atterrit en plein enfer. En fait, une gigantesque décharge. Ce qu'est devenu la Terre. Car en fait de traitement des ordures, les habitants de la « cité des cieux » ne se cassent pas la tête : ils balancent tout vers le bas, sans se demander qui reçoit leurs ordures sur le crâne. Égoïstes et sans aucune empathie. Décidément, pas très agréables, ces individus. Quant à la surface de la planète, elle fait penser aussitôt à celle dépeinte dans le film d'animation Wall-e (
Andrew Stanton – 2008). Mais en sacrément moins agréable et accueillante.
En attendant, Rudo se doit de comprendre où il est tombé et quels individus, voire quels monstres, habitent ce lieu. Et cela ne va pas se faire sans mal. Mais j'arrête là les révélations : il faut que le mystère subsiste. Sachez juste qu'une certaine magie à base de supers pouvoirs va intervenir. Et déclencher des combats aux effets assez spectaculaires.
Le personnage de Rudo, d'abord, s'étire tout en longueur. Ses membres d'une grande finesse sont cachés sous un grand manteau à capuche, épais, idéal pour faire disparaitre visage et silhouette. En plus, les mains sont cachés sous des gants, bien larges eux aussi. Ils ont leur raison d'exister comme on le découvre assez vite. Quand la capuche de Rudo se baisse, un visage assez inquiétant apparaît. Pas de méchanceté, mais des yeux qui mangent le visage, cernés de noir, sombres. Beaucoup de pointes dans ce visage. Les cheveux aux mèches éparses renforcent cette impression de chaos. Rien qu'à le regarder, on sent toute la colère de ce personnage, à peine contenue, prête à exploser au moindre problème.
Le découpage des pages est dynamique et n'hésite pas à utiliser le vide entre les cas pour signaler du temps qui passe, mettre en valeur les dessins qui le remplissent. Rei Urana n'hésite pas non plus à déborder parfois de ses cases : les personnages sortent de leurs dimensions pour se tourner vers nous et prendre une épaisseur supplémentaire. Et certaines planches sont particulièrement marquantes, comme lors de la chute de Rudo.
Bonne surprise que cette nouvelle (elle est parue au Japon l'année dernière) série publiée par Pika. D'autant que pour l'instant, le rythme de sortie est fort correct et permet de ne pas perdre le fil. Hâte de voir comment Rudo va faire sa place à la surface parmi les Nettoyeurs et comment il va gérer ses nouveaux pouvoirs.
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