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Critique de PatriceG


La quatrième de couverture de ce Tolstoy's letters traduit par Gallimard en 1986, est très juste. J'aurais dit pratiquement les mêmes choses, donc aucun intérêt de recopier bêtement -sauf peut-être pour les pourfendeurs du couple Tolstoï, les pousser à se convaincre qu'ils ont tort et d'arrêter leurs conneries, mais j'ai comme un doute à vouloir prétendre endiguer les torrents de boue qui se déversent sur ce couple estimable à bien des égards, les ragots étant les choses les mieux partagées en ce bas monde - hormis peut-être un mot quand il est dit "Avec Sofia, les relations sont de plus en plus difficiles ; Tolstoï, avec une pathétique obstination, tente par lettres interposées d'analyser la situation et d'y porter remède."

Cette "situation" dans les années 1880 connaît un "pic" dans les tourments que s'inflige le couple -c'est l'absolu sentiment qu'il donne- , les divergences qui suscitent un tel émoi reposent principalement sur des aspects matériels, voire matérialistes, et l'éducation des enfants. La première "analyse de la situation" consisterait plutôt à mon sens à se garder de traiter ça avec un esprit voyeur et en faire plutôt une traduction purement littéraire, un peu moins à l'anglaise donc, à une époque où les tabloïds battent leur plein ! Autant que je sache ce ne sont pas "Les amants terribles". On n'arrêtera pas d'épiloguer sur le sujet, les carences du père en matière éducative, alors qu'il excellait pour les enfants des autres -des moujiks- quelques 20 ans plus tôt, mais enfin quittait-il la maison ? Et qui faisait-il si ce n'était pas pour écrire chaque jour au moins pendant 5 heures de temps, plus le soir... On n'arrêtera pas d'épiloguer sur le virage qu'entreprend l'artiste dans ses conceptions religieuses et littéraires. le comte va se transformer en moujik, et il faut bien admettre que ce n'était pas dans le contrat de mariage. Tolstoï a tort quand il introduit dans le jeu de sa propre vie ce Tchertkov, tolstoïen certes mais rusé comme le renard au point de terrasser la vie du couple. Ce n'est que le secours de l'âge qui va obliger Tolstoï à faire un choix entre les visées nuisibles de Tchertkov et les exaspérations de Sophie en découlant, mais sera-ce vraiment un choix, plutôt son incapacité à régler un problème de famille qu'il n'a pas su voir ou qu'il a lui-même créé au fil des années et qui s'est bien sûr dégradé. Quant à sa fuite comme on a souvent titré en réponse à ces problèmes soulevés, est-ce vraiment une fuite quand on se sent faible dans le grand âge ou l'envie d'en finir avec une vie où il a le sentiment qu'il ne maîtrise plus rien si ce n'est la folle obsession d'aller vers les délires qu'une cour malveillante l'y oblige. Dans la fuite, il y a l'espoir d'une vie meilleure, s'il y a bien quelqu'un qui sait que ce ne peut être le cas, c'est bien Tolstoï lui-même ; on le remarque sur le trajet qui le mène à la gare d'Astapovo, et à la gare d'Astapova où il sent bien que les turbulences à peine passées resurgissent et que la seule alternative est la mort.

Partir n'était pas son premier coup d'essai qui ne fut jamais possible, et il avait écrit que selon la mythologie indienne, il se retirerait sur le tard dans la forêt pour mourir comme les vieux éléphants ..

Quand Tolstoï s'éloignait de Sophie pour X raisons, au bout de quelques jours l'ennui le gagnait et l'absence de Sophie lui était cruelle : il lui adressait des lettres d'amour et de tendresse qui tempèrent ce jugement d 'analyse objective

"Analyser la situation" sur des sujets aussi subjectifs et personnels , oui Tolstoï tente de raisonner à chaque fois, mais le coeur l'emporte quand même, il ne peut nier dans le fond ses devoirs conjugaux. Il a beau lâcher du lest à Tchertkov qui symbolise Tolstoï le moujik qui pense et qui écrit ou en reprendre selon les humeurs de Sophie, Sophie marquera le tempo jusqu'à la fin. Il y a aussi des abus manifestes commis par Tchertkov dont Tolstoï n'est pas dupe, qu'il tente tant bien que mal de juguler, mais ce sera trop tard, le mal sera fait, la malveillance du disciple aura vaincu l'illustre écrivain qui n'aura plus que l'approche de la mort comme motif de sortie

A ce choix de ces 608 lettres qui ne constituent pas le dixième de la correspondance de Tolstoï, c'est à croire que Tchertkov a laissé son empreinte en Angleterre suite à son exil forcé, je préfère faire remonter par Paul Birukov deux lettres qui n'y figurent pas et qui situent à mes yeux le bien fondé de l'exigence de vérité nécessaire. Deux lettre de Sophie émises le 23 octobre 1884 et dont nous n'avons pas ici les réponses de Tolstoï.
Birukov est un homme vrai chrétien qui s'est mis au service de son maître en novembre 1884, il en sera son biographe. Voici :
" Hier, j'ai reçu ta première lettre et j'en ai été très attristée. Je vois que tu es resté à Iasnaïa pour ce travail intellectuel que je place au dessus de tout, mais pour jouer au Robinson. Tu as laissé partir le cuisinier pour qui c'était un plaisir de ne pas recevoir gratuitement sa pension, et, du matin au soir , tu te livres à ce travail physique que font d'ordinaire les jeunes gens. Alors, il vaudrait mieux vivre avec les enfants. Tu diras sans doute que cette vie est conforme à tes convictions et que cela te fait du bien. C'est une autre affaire. Je ne puis que te dire "réjouis-toi et prends du plaisir". Et tout de même m'attrister que de pareilles forces intellectuelles se dépensent à couper du bois, chauffer le samovar et coudre des bottes. Tout est beau comme changement de travail, mais non comme occupations spéciales. Enfin, assez sur le sujet. Si je n'avais pas écrit, j'aurais du dépit, maintenant c'est passé et j'ai envie de rire. Je me suis calmée par ce proverbe russe : " Que l'enfant s'amuse de n'importe quoi, pourvu qu'il ne pleure pas ".

Mais le même jour, sentant qu'elle a dû peiner son mari, elle lui écrit : "Tout d'un coup tu t'es représenté si clairement à moi et j'ai senti en moi un tel accès de tendresse pour toi ! Il y a en toi quelque chose de si sage, de si bon, de si naïf, de si persévérant, tout cela éclairé par la lumière de bonté, et ce regard qui va droit à l'âme. Et cela n'appartient qu'à toi seul ".
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