Le sort des communautés autochtones du Canada fait désormais régulièrement l'actualité. Il y a eu d'abord La Commission de vérité et réconciliation (2008 à 2015) qui a mis en lumière le sort tragique de milliers d'enfants amérindiens, enfermés dans des pensionnats (la plupart administrés par l'église catholique) à des fins d'assimilation puis donnés à des familles d'accueil lorsqu'ils étaient encore en suffisamment bon état.
Puis, plus récemment, le meurtre et la disparition de femmes autochtones (on parle de deux mille victimes entre 1980 et 2012) a suscité l'indignation un peu partout dans le monde occidental. On a découvert alors le sort terrible des "Premières nations": cris, innus, inuits ou encore algonquins vivant dans de lugubres réserves canadiennes, frappés par les fléaux de l'alcoolisme et de la toxicomanie, paupérisés, marginalisés, stigmatisés etc.
Il était logique que le cinéma et la littérature s'en emparent.
Little Bird est une série absolument magnifique qui vous fera pleurer comme une madeleine. Six épisodes, centrés sur le devenir d'enfants volés à leurs parents dans le Saskatchewan des années 60, déroulent le processus et les conséquences de ces assimilations forcées.
Après la série, je me suis rendu compte que deux livres récents évoquaient les disparitions, les meurtres en série et les légendes amérindiennes. Deux polars.
Et pas n'importe quels auteurs :
R.J. Ellory d'abord et
Franck Thilliez plus récemment.
Le thème et le premier arc narratif est le même, exactement le même, pour "
Une saison pour les ombres" et "
Norferville":
Un ou des crimes sont commis à Jasperville/
Norferville.
La vraie ville, c'est Schefferville, elle existe bien et correspond en tout point à ce que décrivent les auteurs. Située au Québec, cette ville du bout du monde, crée par une société minière d'extraction de fer, rassemble plusieurs communauté : les mineurs, les résidents blancs permanents, une réserve autochtone.
À 800 km au nord de Sept-Îles, commune marquant le début du golf du Saint-Laurent, le train (le Tshiuetin) relie la ville avec des aller-retours plus ou moins fréquents. Quelques avions font parfois la navette quand le temps le permet.
On est au coeur du Nitassinan. Un filon de fer très pur a été exploité pendant une cinquantaine d'années. Il s'est tari mais on en a trouvé un autre, tout aussi intéressant, à une vingtaine de kilomètres de là.
C'est une ville qui rend fou.
L'hiver dure neuf mois glacials, dix minutes suffisent parfois à provoquer une hypothermie mortelle. C'est le trou de c. du monde (normal, avec cette excavation à ciel ouvert). le paysage est uniforme. L'été on patauge dans la boue et on se fait dévorer par les moustiques. Il y a des loups, des ours et surtout le Windigo, l'incarnation du diable. le Windigo n'est pas commode. Quand il est en colère, il prend possession d'une personne et part à la recherche de proies humaines à dévorer.
Il n'y a absolument rien à faire, rien à voir, tout est moche.
Jasperville/
Norferville, c'est pas l'endroit rêvé pour votre voyage de noce.
Certains y naissent et y restent. Beaucoup décampent. Les mineurs sont engagés pour des missions mais pareil, certains se plaisent en enfer.
Donc un meurtre affreux, un ou des flics ténébreux, un personnage extérieur bourré de culpabilité qui va tenter de résoudre l'enquête, le Windigo, les autochtones, l'alcool : c'est tout pareil chez
Ellory et chez
Thilliez. C'est tout de même assez étonnant, non ?
Il est temps de faire une petite chronique pour chaque livre !!!
Là où
Ellory choisit une ambiance poisseuse et un rythme lent,
Franck Thilliez, au mieux de sa forme, nous embarque dans une aventure trépidante.
Le prologue se situe en 1996 et évoque les fameuses "cures géographiques". Les policiers arctiques se réservent le droit de violer les autochtones alcoolisées ou droguées : c'est la punition d'usage que subissent Léonie et Maya à
Norferville.
Très vite, l'auteur nous débarque en 2016 d'abord à Lyon et sa banlieue, dans les pas de Teddy Schaffran. Teddy est un profiler renommé qui travaille souvent avec la police. Il est veuf et a une fille Morgane, partie faire sa vie au Quebec.
Trois petits chapitres haletants nous prouvent les talents du bonhomme quand il s'agit de chasser le serial killer. Mais tout s'effondre (c'est le cas de le dire, vous verrez…) quand il apprend que sa fille a été atrocement assassinée à
Norferville.
Sur place, l'affaire est confiée au lieutenant Léonie Rock de la Sécurité du Quebec à Baie-Comeau.
Norferville dépend de sa juridiction. Elle laisse sans état d'âme son collègue et amant Patrick, les béluga et les baleines à bosse, et prend un avion de brousse pour rejoindre l'enfer et l'ignoble sergent Paul Liotta (souvenez-vous, les "cures géographiques"…).
Léonie est métisse, elle connait
Norferville et sa réserve comme sa poche. Mais depuis son départ les choses ont un peu bougé. Il y a un complexe hôtelier avec de petits chalets individuels et une agence (Nothern Adventures) qui propose des excursions en moto-neige pour pêcher, chasser, se reposer.
Norferville subit un genre de gentrification depuis la découverte d'un nouveau filon et de la construction d'une énorme centrale hydro-électrique. Il y fait toujours aussi froid, les autochtones sont toujours alcooliques et toxicos, mais, avec un peu de chance, on peut voir des aurores boréales et faire de merveilleuses ballades en Ski-Doo.
Morgane a été éventrée et on lui a arraché le foie. Teddy débarque dans le grand nord et, après quelques moments très compliqués, arrive à persuader Léonie de faire équipe avec lui. le binôme n'est pas au bout de ses peines…
On suivra la piste de chiens sauvages méchamment zigouillés, on comprendra que d'autres jeunes femmes autochtones ont disparus. Maya, l'ex-copine de Léonie est devenue un vrai zombi. On repartira sur les traces du windigo.
À
Norferville un dicton dit que tous, ici, ont du sang indien. Si ce n'est pas dans les veines, c'est sur les mains.
Morgane appartenait à une association venant en aide au famille des Amérindiennes disparues au Canada dans l'indifférence généralisée. Son décès est sans doute lié à son implication.
Bon ce sera, vous vous en doutez, un peu plus machiavélique.
Léonie et Teddy sont faits pour s'entendre, ce n'est pas pour nous déplaire. le récit s'accélère encore, on ne peut plus lâcher le livre, les twists s'enchainent, c'est de la folie.
Les courses poursuite en voiture, en raquettes, en 4X4, en Ski-Doo nous chahutent dans le blizzard. Tout le monde marche au speed.
le lecteur finit sur les rotules, un peu hagard, le sourire au lèvre .
Mazette, quelle lecture…J'avais fini le café et les amphét avec le
Ellory, maintenant il faut que je trouve une barrette de Lexomil !
Mais à tout prendre, j'ai largement préféré "
Norferville" à "
Une saison pour les ombres", je crois que vous avez compris
Franck Thilliez, dans sa post-face, nous assure qu'il a tout inventé mais que la plupart des informations concernant la situation présente et passée des réserves autochtones et de leurs habitants sont avérées.
On veut bien le croire mais les deux livres ont de nombreux points communs.
Mystère et boule de gomme et après tout, on s'en fiche.
Avec ces deux livres on découvre tout un pan de l'histoire récente du Canada et du sort tragique des Premières Nations.
Et c'est bien là l'essentiel !