Citations sur L'abominable (22)
(...) au sommet du Cervin, le choix est clair : un faux pas à gauche et on meurt en Italie; un écart à droite et on meurt en Suisse.
Une chute de plus d'un kilomètre dure longtemps. Par chance – si c'est bien le mot – les victimes sont presque toujours mortes et en grande partie démembrées bien avant de terminer leur course.
Combien de fois n'ai-je entendu des alpinistes, aussi bien aux États-Unis qu'en Europe, décrire l'horrible épreuve que constituent les heures de descente après la chute d'un ou de plusieurs camarades ? Ce n'était pas beau à voir. Tous racontaient avoir suivi, sur la roche, la neige ou la glace, une piste jonchée de sang – tellement de sang –, de piolets fracassés, de lambeaux de vêtements et de bottes ensanglantés et, toujours, de morceaux de corps arrachés.
« C’est une beauté différente, monsieur le… monsieur Churchill. Là-bas, il n’y a que de la roche, de la glace et une lumière impitoyable. Presque tout, même l’air, est si froid qu’il en devient tranchant. Il n’y a pas la moindre verdure au-dessus du camp de base, pas même de lichen. Rien de vivant, à part les alpinistes et quelques corbeaux. Pas d’arbres, pas de feuilles, pas d’herbe… presque rien de doux. Que du roc, de la glace, de la neige et le ciel. Ici, tout est infiniment plus… délicat. Plus… humain. » p. 631-632.
S'il y a un Dieu dans ce pauvre et triste chaos qu'est l'univers, le nom de ce salaud est Ironie.
C'est vrai, pensai-je et appris-je en cette seconde. Même quand on est entouré, on meurt complètement seul.
Au sommet du Cervin le choix est clair : un faux pas à gauche et on meurt en Italie ; un écart à droite et on meurt en Suisse.
Nous sommes tous les trois en train de déjeuner au sommet du Cervin, quand nous apprenons la disparition de Mallory et d'Irvine dans l'Everest.
C'est une journée splendide de la fin du mois de juin 1924, et l'information se trouve dans les pages d'un journal anglais vieux de trois jours avec lequel une employée de la petite auberge du Breuil, en Italie, a emballé nos sandwichs de bon pain frais au rosbif et raifort. Sans le savoir, j'ai porté cette nouvelle encore immatérielle – mais qui va bientôt nous peser lourdement – jusqu'en haut du Cervin dans mon sac à dos, à côté d'une outre de vin, de deux bouteilles d'eau, de trois oranges, de trente mètres de corde d'escalade et d'un gros salami. Nous ne remarquons pas tout de suite le journal, ni ne lisons la nouvelle qui va changer notre journée, absorbés comme nous le sommes par le sommet et la vue qu'il nous offre.
Incipit du roman
Je tiens mon long piolet dans main gauche, côté amont, et prends soin de le planter avant chaque pas. C'est difficile de chercher un cadavre quand on doit regarder ses pieds en permanence.
Tant que les fleuves couleront vers la mer, que les ombres effleureront les pentes de montagnes et que les étoiles illumineront la voute céleste, ta gloire, ton nom et tes louanges vivront.
(page 956)
Les intrigues romanesques paraissent souvent idiotes lorsqu'on les sort de leur contexte narratif. Soyons honnêtes : parfois, elles sont idiotes même en contexte. Et il est vrai que j'avais pensé à un être géant et terrifiant qui traquerait, tuerait et mangerait mes personnages. Sauf que je n'avais pas encore d'idée sur la nature de la bête.
Le Cervin est un amas d'éboulis, mais ses faces et ses arêtes sont belles à contempler de loin. Cette montagne ressemble à une comédienne vieillissante qui, sous son maquillage tristement apparent, garde encore les pommettes saillantes de sa jeunesse et laisse entrevoir par instants la beauté presque parfaite qu'elle était autrefois. La forme même du pic - qui se dresse seul, sans être relié à ses voisins - est peut-être la plus mémorable de toutes les Alpes. Demandez à un enfant qui n'a jamais vu de montagne d'en dessiner une, et c'est le Cervin qui apparaîtra sous son crayon. Telle est sa force symbolique. Et avec le haut de sa face nord légèrement incliné vers l'extérieur, comme une vague qui se brise, la montagne paraît toujours en mouvement. Cette abrupte face en saillie crée son propre microclimat, produit ses propres masses nuageuses. Telle est sa puissance.