Ouvrage reçu dans le cadre de Masse critique !
Neuf contributions autour de cette « force productive qui mène une réalité technique » à son existence .
Dans la première contribution, l'auteur parle du philosophe grec
Castoriadis, pour lequel l'imaginaire est la capacité de l'être humain à créer un monde de sens. Ce philosophe considère que la technoscience remplace la religion « en fournissant une illusion de maîtrise et de toute-puissance ».
Dans la deuxième contribution, l'autrice évoque les nanotechnologies qui effacent « la frontière entre la matière, le vivant et l'information ». Elle cite
Simondon et son concept de « technophanie », mise en scène de la technique pour lutter contre « l'ostracisme qui frappe les objets techniques dans la culture ». Selon elle, les bionanotechnologies reprennent « l'imaginaire de la frontière », exploration infinie des limites de la nature.
Dans la contribution suivante,
Simondon est encore cité, mais plutôt à contre-exemple. Xavier Guichet s'attarde sur l'expérience du professeur Duclos-Vallée qui s'inquiète de la vision d'organes constructibles à l'infini qui ferait perdre à l'humain la conscience de sa mortalité. Il pense comme Heudegger que « La machine se détraque et doit être réparée, le cas échéant par le remplacement des pièces défectueuses, l'humain fait l'épreuve de sa condition mortelle. » A l'opposé, dans les années 60, Ettinger, a une conception du corps-machine avec des techniques pour rajeunir l'organisme et stopper le vieillissement.
Dans la contribution suivante, on trouve une description intéressante de
Stiegler sur la mémoire humaine, définie comme une mémoire « organologique » et pas seulement organique car liée non seulement aux organes biologiques, mais aussi aux relations entre des individus et des techniques.
Cléo Collomb propose elle d'utiliser Search clear, qui permet de se rendre compte de la nature réticulaire du Web grâce aux graphes, et non plus en passant par les filtres du navigateur et du moteur de recherche. Search clear est en outre pertinent pour son entrée sur Internet à partir d'un centre d'intérêt.
Après une contribution de Romele consacrée aux IBI et à leur représentation anesthétique de l'intelligence artificielle, l'article de
Maurizio Ferraris est mon coup de coeur. Prenant comme définition le travail comme l'acte d'un organisme capable de produire de la valeur avec un appareil technique, et considérant que le principal actif des plates-formes est constitué des données des utilisateurs, produisant de la valeur par le biais du travail numérique, il rappelle que si l'humanité disparaissait, le Web disparaîtrait pratiquement aussitôt par « manque de sens », puisque l'humain est le seul à s'intéresser justement aux services du Web. Résolument optimiste, il considère qu'il y a une dépendance croissante de l'automate à l'égard de l'âme, et que « plus l' automatisation se développe, plus les machines deviennent dépendantes des humains ». Il considère même que la consommation peut être considérée comme un travail au même titre que la production puisqu'elle a toujours été productrice de valeur ajoutée. Sa proposition est donc de redistribuer la richesse des plateformes en lançant un welfare numérique ou plutôt un « webfare ».
Pour finir, la dernière contribution, drôle et poétique, alterne annonces immobilières et réflexions autour d'une question : « le téléphone, nouvelle machine à habiter ? ».
En somme, cet ouvrage souvent âpre, parfois incompréhensible aux non-initiés, fait un panorama des techniques contemporaines et à venir, des organes artificiels à l'intelligence artificielle, des téléphones portables à la recherche, citant souvent la référence ultime, l'ethnologue
André Leroi-Gourhan.