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4,05

sur 1431 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Il y a tant de choses qui ont déjà été écrites sur ce livre que je ne peux que vous donner mon avis : c'est un chef-d'oeuvre. J'ai été complètement sous le charme de ce texte de la première page à la dernière, transporté par l'écriture claire, intelligente et poétique de Goliarda Sapienza.
Modesta, née le 1er janvier 1900 en Italie, raconte sa vie, de petite fille pauvre jusqu'à la femme, libre, ni soumise, ni dominante, indépendante, Princesse, qu'elle deviendra. Elle réussit le tour de force de fédérer tout son entourage, hommes comme femmes, en provoquant leur adhésion spontanée, naturelle, à ses idées et à sa vision de la vie. Elle est la narratrice de ce roman. Son livre est une ode au féminisme, sans l'hystérie imbécile que l'on connait aujourd'hui. Gloire est rendue aux femmes de convictions.
L'auteure a mis 10 ans pour l'écrire, de 1967 à 1976. Elle s'est complètement sacrifiée à son oeuvre, allant jusqu'à vendre ses meubles pour subsister, voler des bijoux et aller en prison. Tout ça pour qu'au final il n'y ait pas une seule maison d'édition qui accepte de la publier. Même l'intervention du président de la république, ami de la mère de Goliarda, n'y changera rien. Goliarda Sapienza décède en 1996 sans avoir vu son livre exposé dans la vitrine d'une librairie. Ce n'est qu'en 2005 que le roman connaitra le succès, d'abord édité en Allemagne, puis en France où il deviendra le best-seller que l'on connait.
Une oeuvre à découvrir, lire ou relire absolument.
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Je voudrais vous parler d'une femme dont j'ai rêvé qu'elle devienne à la fois ma mère, ma soeur, ma maîtresse, ma confidente... Je vous rassure, je ne suis pas allongé sur le divan d'un psy au moment où je vous écris ces mots. Cette femme existe, puisque j'ai frôlé son âme le temps de quelques pages de lecture, 640 pages précisément... Je veux simplement vous parler de Modesta.
Modesta est la narratrice du roman. Alors, forcément nous pensons que l'auteure, Goliarda Sapienza, a aussi parlé de son histoire personnelle, de ses combats, de ses espoirs, de ses joies et de ses blessures.
L'Art de la Joie est le roman qui la met dans la lumière et nous en sommes éblouis, tout comme celles et ceux qui croisent son chemin. Ce sont aussi de beaux personnages. Parfois, la lumière attire les papillons. Il faut beaucoup d'équilibre au papillon lorsqu'il s'approche de la flamme d'une bougie, ressentir l'éblouissement jusqu'à cette limite ultime qu'il sait ne pas franchir pour ne pas se brûler les ailes. Et donc mourir... Tenir la bonne distance en quelque sorte. Les personnages de l'Art de la Joie ont parfois brulé leurs ailes au plus près de Modesta.
Il m'est difficile de décrire et résumer ce livre. Il m'est presque aussi difficile de décrire le personnage de Modesta.
Simone Beauvoir nous dit : « on ne naît pas femme, on le devient ». Il me semble que Modesta a brûlé toutes les étapes et pourtant l'Art de la Joie est un roman d'apprentissage.
Modesta est née le 1er janvier 1900, c'est une belle manière d'entrer dans le siècle. Modesta traverse le XXème siècle de l'Italie comme une comète, comme un feu follet. Quand je dis l'Italie, c'est plutôt la Sicile, ce détail est très important. Modesta est à la fois ancrée dans le déroulement d'une histoire, la petite et la Grande Histoire et cela n'a de sens de le vivre et l'écrire que dans cette terre sicilienne et natale. C'est un roman d'émancipation.
Car c'est bien de la lumière qu'il s'agit, la lumière des livres, des textes, ceux dont nous parlons à longueur de jours et de nuits, ce qui fait tenir debout Modesta, elle qui se révolte, s'offre aux autres, hommes ou femmes, se refuse aussi... Modesta, femme libre, vit plusieurs vies. Au fond, elle devient femme plusieurs fois au cours de son existence multiple.
Le livre débute comme un coup de poing au ventre. C'est comme un acte fondateur, mais brutal, qui fait mal. Modesta porte les stigmates à la fois de son enfance et des histoires qu'elle côtoie et traverse sur son passage. Et puis aussitôt elle se relève, chancelante sans doute, regardant déjà vers le ciel, pour nous prendre la main et nous emporter dans le tourbillon de sa vie. Et c'est là que s'exprime la force de la joie, l'art pour être plus précis, la joie qui permet de se relever, qui console, qui guérit... Car c'est un art, lorsque, contre vents et marées, il est permis d'inventer sa vie pour en faire une île, un archipel, une barque, une herbe folle dans un jardin anglais, une constellation...
C'est une joie simple, presque primitive, qui tisse l'itinéraire de Modesta vers son destin. C'est une joie d'amour. C'est une joie qui s'éveille dans une blessure presque irréparable. Que dis-je ? Totalement inguérissable. le XXème siècle est un siècle de lumières et de tragédies. Modesta va traverser ce siècle, le poing levé vers le ciel, comme un drapeau qu'elle porte pour toutes les autres femmes qu'elle incarne. L'Art de la Joie est une fresque historique.
L'Art de la Joie nous décrit avec passion la pauvreté, la guerre, la résistance, les luttes politiques, l'émancipation féminine... Modesta est de tous les combats.
Il y a dans ce roman la vie, l'amour et la mort. le temps qui passe, la liberté, être femme, la sexualité féminine, la sensualité, l'intelligence, la lumière quoi ! Mais aussi les sentiments et leur tourmente plus que jamais...
Modesta est aimante, généreuse, anticléricale, cruelle aussi. Bourrée de paradoxes. Joyeuse enfin et libre plus que jamais.
C'est un livre qui perçoit aussi la lumière des autres. Elle est aussi fragile et brûlante que celle de Modesta. Et lorsque des personnages deviennent solaires, forcément il y a une part d'ombre qui se déroule à leurs pieds.
Le thème qui porte le livre est donc sans doute la liberté. Car Modesta se bat sans arrêt, prend des coups aussi, tâtonne, parfois trébuche, se trompe aussi, ne perd jamais sa joie. C'est un magnifique portrait de femme.
Ce n'est pas ce qu'on appelle un roman facile, c'est un roman dense, il n'est pas facile d'y entrer, il n'est pas non plus toujours facile de tenir la distance. C'est un roman de la patience. Le lecteur est aussi en apprentissage. Mais au fil des pages, nous entrons peu à peu dans le livre, dans la Sicile solaire et sombre, dans les pas sublimes de Modesta. Et une fois le livre refermé, l'histoire de celle-ci cogne encore en nous longtemps après.
Ce livre est profondément féminin. C'est pourquoi il doit être lu absolument par des hommes aussi...
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Modesta naît le premier janvier 1900 dans un petit village de Sicile. Enfant d'une mère pauvre, seule et frustre, rien ne la destine à devenir une princesse. Ni la femme instruite, libre, indépendante et farouche qui va peu à peu s'affirmer.



A lire ce court résumé, on aurait presque l'impression de se trouver devant un conte de fée. Ou comment la jeune fille méritante rencontre le prince charmant qui l'arrache à sa pauvre masure. Mais Modesta n'est certainement pas une jeune fille méritante. Ou plutôt une jeune fille soumise à son destin, docile et attendant un époux pour quitter un état de dépendance pour un autre. C'est un personnage riche, dense, qui va traverser les pires années de 20e siècle avec une force de vie profonde.



Dès son enfance, son adolescence, Modesta affirme un caractère hors du commun, seul capable de lui permettre de résister au pire. Car dès le départ le pire lui est promis malgré son intelligence vive, sa sensualité déjà vivante : fille d'une pauvresse et de père inconnu, soeur d'une trisomique quand cela est encore considéré comme une punition de Dieu. Comment s'étonner dès lors qu'elle ne recule devant rien pour gagner sa liberté ?

C'est cette liberté qui est finalement le thème et le personnage principal de ce roman fleuve de 800 p. La conquête quotidienne de la liberté contre les autres, et surtout contre soi.

« En un éclair, je compris ce qu'était ce qu'on appelle le destin : une volonté inconsciente de poursuivre ce que pendant des années on nous a insinué, imposé, répété être le seul juste chemin à suivre. »

Pour elle, ce destin aurait du être celui d'une femme pauvre, d'une épouse soumise, d'une mère forcément aimante, ou d'une religieuse. Tout ce vers quoi la renvoyaient les hommes, certes, mais surtout les femmes, le rempart le plus sûr du conformisme social, les bourreaux les plus convaincus de leurs propres soeurs.



Ce n'est pas le seul conformisme, contre lequel se bat Modesta. On peut dire de ce personnage qu'il est la quintessence des convictions de Goliarda Sapienza : petite-fille de syndicalistes, née d'un père chef de fil du socialisme sicilien et d'une mère première femme à diriger la Chambre du travail de Turin.

Autour de Modesta/Liberté gravitent une galerie de personnages qui représentent tous un état de la société, ou un idéal. de Tuzzu le paysan à Carlo le médecin communiste en passant par Nina l'anarchiste et Joyce l'intellectuelle, on voit se dessiner en filigrane du récit des modes de vie opposés, des idéaux et des idéologies que la jeune femme va apprendre à connaître, accepter ou fuir, en tout cas toujours critiquer avec une lucidité parfois douloureuse.

« Mais l'amour n'est pas absolu et pas davantage éternel, et il n'y a pas seulement de l'amour entre un homme et une femme, éventuellement consacré. On peut aimer un homme, une femme, un arbre, et peut-être même un âne, comme le dit Shakespeare. le mal réside dans les mots que la tradition a voulu absolus, dans les significations dénaturées que les mots continuent à revêtir. le Mot amour mentait, exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient. Ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie las plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m'en servir, ceux que l'usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, coeur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »

Telle va être la règle que Modesta va appliquer tout au long de sa longue vie, quelque soit le prix à payer pour cela.

« Ne jamais refuser de voir les côtés désagréables de la vie ; quand on ne la connaît pas, la réalité leur fait prendre des proportions gigantesques dans l'imagination, les transformant en cauchemars incontrôlables. »

A travers ce personnage hors du commun, Goliarda Sapienza aborde bien des thèmes peu usités dont le moindre n'est pas la sexualité féminine. Dès son enfance, Modesta est ce démon que combat l'Eglise, cette hystérique traitée par la psychanalyse des débuts. Une femme profondément sensuelle, qui apprend à être à l'écoute de son corps et de ses désirs, que ces désirs la portent vers un homme ou une femme. Goliarda Sapienza analyse ces désirs, analyse la sexualité et la culpabilité dont elle a été empreinte et livre à ses lecteurs des lignes d'une pertinence qui laisse rêveur.

« La vérité, c'est que quand tu trouves la femme ou l'homme qu'il te faut, alors il faut absolument arriver à s'entendre. le corps est un instrument délicat, plus qu'une guitare, et plu tu l'étudies et plus tu l'accordes à l'autre, plus le son devient parfait et fort le plaisir. »

Une pertinence que l'on retrouve quand elle aborde des thèmes comme l'éducation des enfants, la politique, la religion, l'économie même. Une pertinence qu'elle acquiert sans doute en portant le même regard sur tout ses personnages, quelques soient leurs choix et leur sexe. Et en faisant de Modesta un personnage qui réfléchit. Important quand on y pense non ? Cette femme ne se contente pas d'accepter comme parole d'évangile ce qu'on lui dit, ce qu'elle lit. Elle l'analyse au regard de ses propres aspirations, et n'utilise que ce qui lui est utile, refusant toute aliénation et surtout, celle de la pensée et des idéaux. Il lui arrive de se tromper bien sûr, d'adhérer puis de quitter, mais ce n'est finalement qu'une manière de construire un système de pensée cohérent, son système de pensée. Un art de vivre précieux, je dirais même un objectif à atteindre.



Après ce long bavardage sur le fond du roman quid de la forme ? Non, je vais tout de même essayer de l'aborder, même brièvement !

L'art de la joie et un roman fleuve, dense, débordant de vie, mais parfois confus. La faute à l'usage de la langue que fait Goliarda Sapienza sans doute. Elle n'hésite pas à mêler langue classique et dialectes siciliens ou romains, langage médical et populaire ! Et surtout, elle heurte les temporalités : de longues pages sur un court instant, de longues périodes décrites en quelques lignes. Un moyen de rendre la psyché de Modesta sans doute, mais qui rend de temps en temps difficile la compréhension du récit. J'ai d'ailleurs eu du mal à rentrer dans cette lecture, au point d'avoir manqué de refermer le roman au bout de quelques pages. Je suis heureuse d'avoir persisté. Modesta n'est pas un personnage que l'on oublie facilement. Et elle donne une formidable leçon de vie.



« le soleil levant m'envahit le cerveau, serein, comme libéré d'un poids d'angoisse qui depuis des mois et des mois me faisait tressaillir à la moindre ombre, au moindre bruit, et un calme jamais éprouvé m'envahit. J'ai envie de sortir, de courir dans ce soleil joyeux qui répète : tu es libre. Douceur de ne plus attendre, de ne plus dépendre d'une autre volonté. Personne ne m'enlèvera plus cette douceur, Mattia. »



« Je n'ai pas tremblé comme je le craignais, et maintenant je sais la raison de ma sérénité devant Pietro mort, devant la maladie de Prando. Ce n'est pas de l'indifférence, un émoussement des sens dû aux années comme je l'avais soupçonné. C'est la pleine possession de mes émotions et la connaissance suprême de chaque instant précieux que la vie nous offre en prime si on a fermeté et courage. »



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Je viens de terminer il y a quelques jours, avec une certaine émotion, ce roman de Goliarda Sapienza.
Un livre assez volumineux, un peu plus de 600 pages, et un roman qui ne laisse pas indifférent, qui laisse son empreinte dans mon esprit, et je n'oublierai pas, c'est sûr, les sentiments forts et contrastés qu'il m'a laissés. Et comme chaque fois pour un tel type de roman, une difficulté à en faire un commentaire adapté.

Car c'est un récit que j'ai trouvé magnifique, unique, incomparable, malgré ses défauts, ou, plutôt les difficultés de lecture qu'il peut poser, et contre lesquelles j'ai parfois pesté! Car l'autrice utilise des procédés narratifs si particuliers, originaux et parfois séduisants mais qui à certaines pages m'ont rendu la lecture vraiment difficile.
Dans chaque chapitre, ce sont, d'abord, un peu comme des séquences de film, des récits qui se suivent sans qu'il y ait de transition formelle entre eux, sans « contextualisation » pour employer un mot à la mode,
Et aussi, comme dans les films, certains évènements, tels la mort de Béatrice ou celle de Stella, ne sont pas décrits et n'apparaissent que comme des souvenirs dans le récit.
Et puis, il y a les dialogues fort (trop?) nombreux, comme dans une pièce de théâtre, plus faciles à suivre quand les protagonistes sont cités comme l'autrice choisit de le faire de façon originale dans certaines pages , mais vraiment difficiles parfois, car (est ce l'effet de l'âge en ce qui me concerne), j'avais quelque difficulté à comprendre qui était l'interlocuteur du débat.
Autre procédé inhabituel, et qui crée des changements de « focale » étonnants, c'est que le récit passe dans un même paragraphe de la narratrice interne, l'héroïne Modesta, à un narrateur « omniscient », ce qui crée une instabilité du récit qui n'a pas été pour me déplaire.
Et puis de temps à autre, Modesta s'adresse brusquement à un être cher disparu, telle la Béatrice tant aimée, ou perdu de vue, telle l'ambiguë Joyce.

Voilà pour les commentaires sur la forme.

Sinon, c'est un récit absolument bouleversant, dans lequel grouille la vie profonde des êtres humains.

Et d'abord, Modesta, quel étrange prénom pour cette femme puissante, cette amie plus que prodigieuse. Une femme née au tout début du 20ème siècle en Sicile, dans une pauvreté terrible (une première partie saisissante et dure) et dont le lecteur suit la vie, la détermination extraordinaire, la volonté de liberté sur tous les plans, y compris sexuel, qui deviendra par les choix qu'elle fait et les opportunités qu'elle saisit, avec parfois froideur et cruauté, une princesse atypique, sûrement pas une princesse de conte de fées, une princesse « rouge », détachée des biens, façon communiste ou anarchiste, et qui trouvera la paix et l'amour simple au seuil de la vieillesse.

Et puis il y a toute sa « famille » dont elle s'occupe, souvent comme une « mamma » sicilienne, tous ces enfants nés, pour l'un d'une liaison extra-conjugale, pour l'autre enlevé a la naissance à sa mère qui n'en voulait pas, pour un autre encore élevé à la suite de la mort de sa mère, etc.. Bref, une famille pas comme les autres, où bouillonne la vie, où les dialogues entre les protagonistes peuvent être excessifs, mais aussi sont souvent profonds, sur les événements politiques qui traversent le siècle, premier guerre mondiale, arrivée au pouvoir des fascistes, etc.. , sur la sexualité, le sens de la vie.

Mais surtout, ce qui m'a tant bousculé, c'est que c'est l'histoire d'une femme libre à tout prix, aimant autant les femmes que les hommes (la description de ses relations amoureuses est magnifique, pleine de sensualité et de passion) transgressant les règles d'une société corsetée, mais refusant la richesse et les honneurs, militant pour l'égalité des êtres humains.

En conclusion, une saga parfois difficile à lire, mais magnifique et inspirante, hors-normes, bien au-dessus de ce que l'on peut lire dans la production actuelle.
J'ai lu qu'un commentaire dithyrambique qualifiait ce livre de meilleur livre du monde. Je ne pense pas que l'on peut dire que tel grand livre ou tel grand auteur est meilleur qu'un autre. On ne peut comparer, par exemple, Proust et Céline, Tolstoi et Dostoievski, Kafka et Kundera, et je pourrais multiplier les exemples.
Mais ce roman, le premier que je lis de Sapienza, mérite, à mon humble avis, que l'on place au plus haut cette romancière qui fut mal jugée durant sa vie.
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La route qui mène au paradis de la lecture est semée de ces pavés, de ces chefs d'oeuvres intemporels qui épuisent en une histoire tous les sujets et toutes les émotions. L'Art de la joie entre dans un panthéon où figurent L'homme dé, le maître et marguerite, Cent ans de solitude, Shantaram… (liste non exhaustive).
À quoi reconnaît-on un chef d'oeuvre ? À cette sensation jubilatoire que tout ce que vous recherchiez est contenu dans un seul livre, au sentiment que beaucoup d'auteurs y ont glané leur inspiration : ici, Franck Bouysse, Marcus Malte, Cécile Coulon… (ce qui n'enlève rien au talent de ces auteurs).
Le personnage principal, Modesta, est d'une grande modernité, furieusement libre, maîtresse de son destin, à l'aise dans son corps comme dans son coeur, interdisant à qui que ce soit de lui dicter ce qu'il faut dire ou penser. Une femme qui se donne à celles et ceux qui lui apprennent - à baiser (Carmine), à nager (Carlo), à rouler à moto (Mattia), à psychanaliser (Joyce), à se débrouiller en prison (Nina) ou à mieux regarder sa terre natale, la Sicile (Marco).
En racontant sa vie incroyable, Goliarda Sapienza refait l'histoire d'une Italie qui, derrière soleils et sourires, cache de violents tourments, entre fascisme et dérive mafieuse, bâtards d'une même disgrâce.
Pour être objective, je pense que ce livre de 800 pages aurait pu en faire 150 de moins mais comme disait ma grand-mère : « ce n'est pas forcément en prenant les raccourcis qu'on profite le mieux de la balade ». Bien vu mémé ! L'art de la joie, c'est du slow reading et ça remplace aisément 3 ou 4 romans prétentieux et nombrilistes de la prochaine rentrée littéraire.
Bilan : 🌹🌹🌹
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L'Art de la joie est un de mes romans capitaux, de ceux qui forgent plus qu'on ne le pense : le goût littéraire, le plaisir de la langue, la culture du politique, l'amour libre et l'amour de la liberté. Deuxième lecture pour ce pavé dans ma mare intime, et toujours la même émotion, proche de la révélation.

Née avec le XXe siècle, Modesta est tout à la fois : aimante, amante, cruelle, curieuse, passionnée, obstinée, détachée, libertaire, libertine, socialiste, princesse, inébranlable, érudite, imprévisible, ambitieuse, poétesse, oratrice, violente, amoureuse, sicilienne. Aucune contradiction ne peut avoir raison d'elle et de la conviction qu'elle met dans chacune de ses actions. Elle est intransigeante et ne connaît que peu l'indulgence. Masure, couvent, palais, villa, prison, studio : autant de toits pour ses idées et ses audaces.

Goliarda Sapienza dépeint avec une force déconcertante des personnages radicaux, qui parfois paraissent incompatibles, mais sont surprenamment complémentaires. Ils sont les modèles d'une Italie façonnée par des temps incertains. En pleine période fasciste, l'engagement de Modesta est un formidable terreau intellectuel et politique. Elle regarde et pense le monde, les relations et le pouvoir, bien éloignée de tous les poncifs étriqués. Incontestablement autonome, elle est très entourée, d'êtres et de fantômes. Tous tissent la toile de fond de sa vie et sont les témoins de son existence impétueuse. Amoureuse, épouse, mère et grand-mère, Modesta l'est à sa manière et, incidemment, cela morcelle le schéma dominant, pour trouver un équilibre autre, parfois précaire mais authentique.

Modesta et Goliarda ne font pas qu'une, et pourtant l'autrice donne le sentiment d'incarner pleinement son héroïne. On retrouve l'originalité d'une pensée et un décalage, parfois seulement infime mais toujours présent, avec les autres. Cela tient à la poésie des mots : une justesse et une précision dans l'écriture qui, en dressant une atmosphère palpable, ouvre la porte à la réflexion et à l'imagination.

Décidément, Goliarda Sapienza sait me toucher et m'impressionner.
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Un brin sulfureux ce gros pavé. Et sacrément féministe, engagé. Plein d'intelligence et de retenue, l'art de se frotter les uns aux autres sans fendre dans ses valeurs, les porter haut. L'art de la joie, finalement tout est dans le titre! Et maintenant que je l'ai refermé, je dois dire que j'aurai du le lire avec plus de sérieux. Parce que j'en suis presque à réclamer une étude de texte pour mieux comprendre tout ce qu'il contient, tout ce qui nous est livré, c'est comme des codes de vies, un sens d'être fidèle à soi et à sa liberté, en même temps qu'être entièrement consacrée aux siens, bref, être entier de sa jeunesse à sa vieillesse sans craindre des tumultes extérieurs.
Le roman nous retrace donc la vie de Modesta. Qui s'ouvre sur sa sexualité dès les premières pages, (et c'est un peu...un peu 1900) et qui nous embarque dans son destin de Sicilienne jusqu'à ses 60 ans, disons 1960-70. Alors avec elle, c'est l'affranchissement d'un tas de bienséances, la maturité des réflexions, l'amour libre, etc. Elle nait véritablement d'elle même, forte comme un roc elle ne semble pas douter, toujours là, droite et aimée, juste et intransigeante. Bref : libre.
L'art de la joie c'est Modesta dans son époque, le récit traverse les deux guerres mondiales, traverse les écarts de générations, traverse les grands pas de l'industrialisation, les courants politiques communistes, fascistes, socialistes, démocratiques.
L'art de la joie, c'est un pavé qui sait se rendre captivant. La lecture peut se vivre en mode théâtrale. Les ambiances, de vraies scènes, ont parfois une nature propre, on a chaud, on a froid, on entend applaudir et gémir, frissonner et clamer. On se cultive par les livres pour démarrer, puis on va même finir par lire en cachette, les titres sous le manteau pour continuer le combat, se revendiquer, continuer de faire partie de cette minorité qui reste. On lit une narration confidence, on lit des morts et des rêves.

C'est trop pour un seul livre ce truc, en tout cas bien trop pour en dire quelques mots ici et vouloir s'en rappeler en détails. le mieux sera de le relire. C' est le livre qui accompagne une vie.

En démarrant, je me suis vraiment demandée ce qui a pu autant pousser la librairie à nous le présenter en tête d'affiche constamment? Ben maintenant je sais, et je me sens à la fois bête et à la fois accompagnée d'une force nouvelle qui vient de loin!
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L'art de la joie, un roman qui avait éveillé mon intérêt dès l'instant où j'avais appris son existence. De par son statut, chef-d'oeuvre de la littérature féministe italienne, publié posthume car trop sulfureux. de par son titre, la femme qui figure en noir en blanc sur la photo, Goliarda Sapienza, dont le nom aux sonorités lointaines évoquent l'inconnu. Me voilà au bout de ses quelques 900 pages. Qu'en ai-je pensé ?

Le style ! le style de L'art de la joie est l'un des plus immersifs qu'il m'ait été donné de lire. Goliarda Sapienza a une façon unique d'associer les mots, de jouer avec les rythmes, qui ensorcelle le lecteur. Son écriture est organique et sensorielle. Elle fait appel à tous les sens de son public, et bien plus qu'être simples spectateurs, nous devenons complètement Modesta.

Cette empathie qu'elle crée avec son personnage, elle sert complètement à bâtir la complexité de Modesta. D'autant plus que l'autrice choisit de varier les formes d'écriture pour démontrer le caractère pluriel de cette femme. La troisième personne du singulier va céder sa place à la première personne, notamment dans les moments de forte émotion. le récit va se transformer en pièce de théâtre, notamment lorsque les personnages sont nombreux. Non seulement les échanges vont devenir plus clairs, mais en même temps chacun, dont Modesta, va devenir acteur en représentation dans le jeu social et jouer un rôle face aux autres.

Cette Modesta, encore et toujours, est un personnage très ambivalent. Paradoxale, je suis à la fois admirative de sa personnalité forte, franche et déterminée. de sa soif infinie de vivre. Mais j'étais parfois jalouse de cette force dont elle faisait preuve, de ce rayonnement qu'elle avait, comme si son charme avait quelque chose de surnaturel. Modesta est comme la vie elle-même, elle échappe à toute forme de manichéisme pour être unique et inclassable. Elle évolue constamment constamment à travers les étapes de sa vie de femme, adolescente, jeune, mère, grand-mère... Un portrait grandiose.

L'art de la Joie a été publié de manière posthume, bien après que Goliarda Sapienza a fini l'oeuvre. On comprend pourquoi. le roman met en exergue une façon de pensée résolument moderne. Modesta est une femme qui tend constamment vers l'affirmation d'elle-même, et fait fi des carcans imposés par la société rigide et codifiée de son époque. Elle fascine autant qu'elle révulse. Elle est à la fois libre politiquement, intellectuellement et sexuellement. Et ses trois points la font sortir du conformisme social pour l'élever en être qui assume ses propres désirs. Et ce n'est pas quelque chose qui est facilement accepté.

Autre point intéressant, ce personnage existe tel qu'il est grâce à son aisance financière et une forme de mariage. Car dans la société, surtout celles où le rôle de la femme est très traditionnelle comme la Sicile de la première moitié du XIXe siècle, ce sont des profiles de femmes atypiques qui s'affranchissent de la tutelle des hommes. Les veuves, en particulier.

L'art de la joie est le genre de roman que l'on referme sans savoir si on l'a apprécié. le livre est dense, riche, bardé de nuances complexes. le manichéisme n'a pas sa place, à l'image de la vie. C'est en revanche le genre de roman que l'on referme en sachant que, par on ne sait quel miracle de l'écriture, il nous a changé.
Lien : https://lageekosophe.com/
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"Tout est vécu avec naturel dans ce long récit. L'amour circule entre les êtres, les idées qui affleurent trouvent la juste distance et se libèrent.
Livre intense, lumineux, longtemps refusé par les éditeurs italiens, où s'entremêlent la sensualité, la liberté des corps et des idées, les âmes des vivants et des morts, la connaissance et la politique ; il fallait bien 798 pages pour dérouler un tel roman."
Élisabeth Dong


Lien : https://doublemarge.com/lart..
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7 août 2019
Dans la vie d'un lecteur, il y a des moments rares, des moments qui marquent à jamais, parce que certaines lectures qui vous marquent à jamais. Plus rare encore, ce plaisir que j'éprouve en ce moment, en refermant un roman, le sentiment d'avoir découvert un chef d'oeuvre, une lecture qui bouleverse ma vie, une lecture dont on se dit, voilà ce que je devais lire, voila ce que je cherchais à lire.
Je termine la lecture de « L'art de la joie » de Goliarda Sapienza, traduction de Nathalie Castagné aux éditions « le Tripode ».
Je termine la lecture, mais je n'en ai pas terminé avec ce livre, loin s'en faut !
Nathalie Castagné disait qu'en janvier 2004, lorsqu'elle lut le livre, en italien à l'époque, dès la première page elle fut happée. Et cette fascination ne cessera au long de la lecture.
Si je dis que c'est un livre éminemment politique, je vais décourager ceux qui me lisent, pourtant c'est ainsi, car ce livre séduit par sa liberté complète par rapport à tous les dogmes (littéraires autant que moraux) à toutes les églises (Eglise catholique, mais aussi Eglise Marxiste-Léniniste comme aussi Eglise psychanalytique).
Il s'affranchit des interdits et des attitudes que la société nous inculque.
C'est un livre sur la Liberté, sur l'affranchissement, la libération.
A notre époque où le conformisme fait un retour en force (j'écoutais, anniversaire oblige, une excellente série d'émissions sur Woodstock sur France Culture et je suis effrayé par le décalage entre la revendication de liberté de cette époque et l'époque que nous vivons), il est essentiel d'entendre une voix pareille.
« L'art de la joie » est une manière d'être au monde.
Et quel titre, non ?

La vie de Modesta ne peut être dissociée de celle de Goliarda.
Non pas que ce soit là l'histoire de sa vie, ce livre n'est pas autobiographique, mais parce qu'il est le fruit d'un héritage. Goliarda eut deux parents extraordinaires, socialistes-anarchistes, pour reprendre une terminologie de l'époque, du début XXème siècle, libertaire, dirais-je aujourd'hui, et elle est leur héritière, le fruit de l'éducation de ces parents extraordinaires. Fruit, le mot est juste car il y a chez elle et donc chez Modesta un sorte filiation omniprésente de la nature dans la façon dont elle vit sa vie et raconte sa vie, dans tous ses rapports humains, avec l'omniprésence de la mer, de l'Etna, des lumières, et de la campagne siciliennes.
C'est aussi que ce livre est écrit à la première personne.
C'est aussi un apprentissage du corps, de la liberté, absolument fantastique et là encore sans interdit, sans morale religieuse (nous sommes en Sicile, au début du XXème, ne l'oublions pas).
Modesta se contrefout du « qu'en dira-t-on », du « qu'en pensera-t-on ».
Modesta parle de la découverte du plaisir, de sexualité, avec gourmandise, de plaisir absolu, même si parfois, et c'est peut-être là la seule faiblesse du roman, les descriptions sont parfois un peu convenues, un peu trop « déjà vues ».
Ce livre parle de la condition d'être femme, parle d'avortement, de meurtres aussi, plutôt d'éliminations.
Comment lutter contre ce que l'éducation vous met dans la tête, comment s'en affranchir.
Modesta affronte la vie en cherchant à comprendre ce que sont les peurs, et surtout comment ne pas se laisser dominer par ses peurs.
Rien ni personne ne soumet Modesta et Modesta ne soumet personne.
Libertaire, je vous dis...

Angelo Pellegrino son mari, rappelle que Goliarda Sapienza avait écrit en marge des pages qui allaient devenir ce livre « Goliarda attention à l'auto-censure », un panneau en quelque sorte, qu'elle gardait sous les yeux au long de l'écriture de ce roman.
Et Modesta fait, elle aussi, toujours attention à s'affranchir de toute censure.

C'est un livre maudit pour lequel son auteur Sapienza Goliarda a tout sacrifié.
Elle écrit pendant dix ans et ensuite ne parvient pas à publier cet « art de la joie ».
Quand il sort enfin en Italie, Goliarda Sapienza est morte depuis deux ans.
« L'art de la joie » passe inaperçu.
Goliarda demeure une auteure méconnue jusqu'à cette rencontre inattendue, entre ce texte et Nathalie Castagné, traductrice d'italien.
A sa sortie en France, c'est un succès extraordinaire.
C'est la consécration.
Et c'est ainsi que ce chef d'oeuvre nous est parvenu.

Merci Goliarda, merci Nathalie Castagné, merci les éditions le Tripode.

J'ai vraiment l'impression de ne pas avoir eu le talent de faire une chronique qui donne envie, si vous voulez lire une belle chronique rendez-vous ici...

http://www.lacauselitteraire.fr/l-art-de-la-joie-goliarda-sapienza
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