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Critique de berni_29


Je voudrais vous parler d'une femme dont j'ai rêvé qu'elle devienne à la fois ma mère, ma soeur, ma maîtresse, ma confidente... Je vous rassure, je ne suis pas allongé sur le divan d'un psy au moment où je vous écris ces mots. Cette femme existe, puisque j'ai frôlé son âme le temps de quelques pages de lecture, 640 pages précisément... Je veux simplement vous parler de Modesta.
Modesta est la narratrice du roman. Alors, forcément nous pensons que l'auteure, Goliarda Sapienza, a aussi parlé de son histoire personnelle, de ses combats, de ses espoirs, de ses joies et de ses blessures.
L'Art de la Joie est le roman qui la met dans la lumière et nous en sommes éblouis, tout comme celles et ceux qui croisent son chemin. Ce sont aussi de beaux personnages. Parfois, la lumière attire les papillons. Il faut beaucoup d'équilibre au papillon lorsqu'il s'approche de la flamme d'une bougie, ressentir l'éblouissement jusqu'à cette limite ultime qu'il sait ne pas franchir pour ne pas se brûler les ailes. Et donc mourir... Tenir la bonne distance en quelque sorte. Les personnages de l'Art de la Joie ont parfois brulé leurs ailes au plus près de Modesta.
Il m'est difficile de décrire et résumer ce livre. Il m'est presque aussi difficile de décrire le personnage de Modesta.
Simone Beauvoir nous dit : « on ne naît pas femme, on le devient ». Il me semble que Modesta a brûlé toutes les étapes et pourtant l'Art de la Joie est un roman d'apprentissage.
Modesta est née le 1er janvier 1900, c'est une belle manière d'entrer dans le siècle. Modesta traverse le XXème siècle de l'Italie comme une comète, comme un feu follet. Quand je dis l'Italie, c'est plutôt la Sicile, ce détail est très important. Modesta est à la fois ancrée dans le déroulement d'une histoire, la petite et la Grande Histoire et cela n'a de sens de le vivre et l'écrire que dans cette terre sicilienne et natale. C'est un roman d'émancipation.
Car c'est bien de la lumière qu'il s'agit, la lumière des livres, des textes, ceux dont nous parlons à longueur de jours et de nuits, ce qui fait tenir debout Modesta, elle qui se révolte, s'offre aux autres, hommes ou femmes, se refuse aussi... Modesta, femme libre, vit plusieurs vies. Au fond, elle devient femme plusieurs fois au cours de son existence multiple.
Le livre débute comme un coup de poing au ventre. C'est comme un acte fondateur, mais brutal, qui fait mal. Modesta porte les stigmates à la fois de son enfance et des histoires qu'elle côtoie et traverse sur son passage. Et puis aussitôt elle se relève, chancelante sans doute, regardant déjà vers le ciel, pour nous prendre la main et nous emporter dans le tourbillon de sa vie. Et c'est là que s'exprime la force de la joie, l'art pour être plus précis, la joie qui permet de se relever, qui console, qui guérit... Car c'est un art, lorsque, contre vents et marées, il est permis d'inventer sa vie pour en faire une île, un archipel, une barque, une herbe folle dans un jardin anglais, une constellation...
C'est une joie simple, presque primitive, qui tisse l'itinéraire de Modesta vers son destin. C'est une joie d'amour. C'est une joie qui s'éveille dans une blessure presque irréparable. Que dis-je ? Totalement inguérissable. le XXème siècle est un siècle de lumières et de tragédies. Modesta va traverser ce siècle, le poing levé vers le ciel, comme un drapeau qu'elle porte pour toutes les autres femmes qu'elle incarne. L'Art de la Joie est une fresque historique.
L'Art de la Joie nous décrit avec passion la pauvreté, la guerre, la résistance, les luttes politiques, l'émancipation féminine... Modesta est de tous les combats.
Il y a dans ce roman la vie, l'amour et la mort. le temps qui passe, la liberté, être femme, la sexualité féminine, la sensualité, l'intelligence, la lumière quoi ! Mais aussi les sentiments et leur tourmente plus que jamais...
Modesta est aimante, généreuse, anticléricale, cruelle aussi. Bourrée de paradoxes. Joyeuse enfin et libre plus que jamais.
C'est un livre qui perçoit aussi la lumière des autres. Elle est aussi fragile et brûlante que celle de Modesta. Et lorsque des personnages deviennent solaires, forcément il y a une part d'ombre qui se déroule à leurs pieds.
Le thème qui porte le livre est donc sans doute la liberté. Car Modesta se bat sans arrêt, prend des coups aussi, tâtonne, parfois trébuche, se trompe aussi, ne perd jamais sa joie. C'est un magnifique portrait de femme.
Ce n'est pas ce qu'on appelle un roman facile, c'est un roman dense, il n'est pas facile d'y entrer, il n'est pas non plus toujours facile de tenir la distance. C'est un roman de la patience. Le lecteur est aussi en apprentissage. Mais au fil des pages, nous entrons peu à peu dans le livre, dans la Sicile solaire et sombre, dans les pas sublimes de Modesta. Et une fois le livre refermé, l'histoire de celle-ci cogne encore en nous longtemps après.
Ce livre est profondément féminin. C'est pourquoi il doit être lu absolument par des hommes aussi...
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