Court roman ou longue nouvelle? Une centaine de pages qui s'apparenteraient à l'univers du conte avec la petite oiseleuse, petite fée, et l'apparition presque magique de
Teverino, dans le rôle d'un enchanteur un peu transformiste.
Tous les invités que Lady G. a invité à une partie de campagne se sont récusés à l'exception de Léonce, un ami de longue date. Pour éviter un tête-à-tête inconvenant (Lady G est mariée à un anglais, ennuyeux et buveur), ils emmènent en promenade dans le cabriolet, la servante noire Lélé, et un curé rencontré en route.
Lady G s'ennuie, Léonce promet de la distraire mais sans l'embarrasser d'une cour inopportune:
" - Nous sommes de vieux amis, et nous le serons toujours, si nous avons la sagesse de persister à nous aimer modérément comme vous me l'avez promis"...
Leur conversation prend le ton d'un marivaudage un peu agaçant, ils parlent d'amour sans y toucher, de religion avec indifférence :
Léonce se présente comme un artiste. Jusqu'à leur rencontre avec Madeleine leur ton badin et superficiel semble contraint.
Le déjeuner champêtre à la Roche-Verte dans un pittoresque paysage de montagne avec le curé gourmand et la compagnie des jeunes pâtres des montagnes déride l'ambiance. L'arrivée de la "fille aux oiseaux" et l'allusion à la "noce fantastique du conte de Gracieuse et Percinet" chasse la conversation badine pour une jolie partie de campagne. Léonce avait tout prévu même le hamac orné de plumes multicolores pour la sieste. le paysage est romantique avec ses gorges arides cachant un vallon délicieux, le petit lac poissonneux.
C'est dans ce décor merveilleux que surgit
Teverino, le vagabond, le faune, le nageur qui se pare d'herbes aquatiques et de nymphéa ressemblant à un Neptune antique ou une de ces statues représentant un fleuve - le Tibre, comme le suggère son nom -.
Teverino est un personnage singulier. Italien, enfant trouvé il a servi de modèle aux peintres et sculpteurs, chante merveilleusement bien, et a acquis un vernis de culture pour briller en société. Revêtant les habits de Léonce, il peut passer pour un marquis et accompagnera la compagnie dans leur escapade.
Ce nouveau compagnon donne un tour nouveau à l'excursion qui devient une véritable aventure. La voiture quitte les chemins paisibles et les riants plateaux pour arriver dans des abimes, des rochers abrupts et neigeux, des torrents en crue. Les sentiments débordent également. Sabina (Lady G) se laisse emporter par la séduction de
Teverino qui passe la frontière pour les emmener en Italie. Italie rêvée, Italie des artistes, des passions, de la musique. L'innocent pique-nique vire à la fugue. Les sentiments s'épanchent. La jalousie intrigue. Dépité par les rebuffades de Sabina et le succès de
Teverino, Léonce fait mine de tomber amoureux la fille aux oiseaux.
La nuit sera une véritable farce: Lélé, la noire entre par mégarde chez le curé qui la prend pour le diable. Sabina est saisie de remords, coupable de s'être laissée entraîner avec
Teverino.
Au lendemain, sur le chemin du retour, chacun reviendra à la raison.
C'est une lecture pittoresque, agréable, distrayante, pleine de surprises. Si le marivaudage entre les deux aristocrates, bien élevés, maîtrisant leurs sentiments est un peu convenu, Sand bouscule les conventions dès que
Teverino paraît. La critique sociale devient plus virulente. Faux marquis, faux chanteur célèbre, vrai séducteur, vrai virtuose des sentiments,
Teverino pousse Léonce et Sabina hors de leurs retranchements et leur fait découvrir leurs sentiments. Étrange personnage que ce modèle masculin, on est habitué à la muse de l'artiste et Madeleine joue innocemment ce rôle. On devine que les rôles ne sont pas répartis comme le veut la tradition.
Étrange fin qui n'en est pas une.