Son amour était semblable à une longue ligne droite et noire traversant sa vie, la blessant parfois, lui faisant du mal, mais dont elle ne s'était jamais sentie capable de s'éloigner.
Comme il est terrible d'avoir vingt ans, Lady Slane ! C'est aussi affreux que d'affronter le Grand National de Liverpool. On sait que l'on va presque certainement tomber dans le Ruisseau de la compétition, se casser une jambe à la Haie de la déception, trébucher sur le Fil de L'intrigue, souffrir au grand Obstacle de l'amour.
Elle avait toujours obéi sans broncher. Habillée comme il convenait, elle s'était à tout moment tenue prête sur n'importe quel quai pour y être enregistrée comme un bagage. Herbert ne doutait pas que sa mère accepterait de passer ce qui lui restait à vivre dans les chambres d'amis de ses enfants.
C'est étonnant comme la mort permet à la beauté de s'exprimer. Dans la vie on peut s'embellir si on sait s'habiller. Mais une fois mort, c'est du profond de vous-même que jaillit la beauté.
En allant seule à Hampstead, elle oubliait son âge, se sentant même plus jeune que jamais, impatiente d'entamer cette nouvelle étape de sa vie, même si c'était la dernière.
En fait c'était son corps qui était devenu son plus fidèle compagnon. Jamais plus il ne se faisait oublier. Toutes ces petites misères corporelles, celles-là même que l'on garde pour soi, qu'on ignore lorsqu'on est jeune, étaient désormais devenues envahissantes, exerçant sur elle une sorte de rassurante tyrannie.
Avec l'âge, on a de plus en plus envie de fréquenter seulement ses contemporains, et de délaisser les jeunes. Entre nous, ils sont vraiment très fatigants, très agités. Je peux à peine supporter la compagnie de quelqu'un de moins de soixante-dix ans. Les jeunes vous obligent à envisager la vie comme un combat, une véritable entreprise, ils sont sans cesse pris par leurs plans. En revanche les personnes âgées, tous projets abandonnés, peuvent enfin se pencher sur leur passé. Ne trouvez-vous pas que c'est reposant ? Le repos, lady Slane, est une des choses les plus importantes de la vie, et pourtant peu d'entre nous y parviennent réellement, d'ailleurs bien peu en rêvent vraiment. Il est imposé aux personnes âgées quand elles sont infirmes, ou malades. Mais presque toutes gardent la nostalgie de l'énergie qui fut autrefois la leur. A mon avis, c'est là une grave erreur.
Elle désirait plonger au coeur de cette maison vide, mais pas comme l'araignée l'avait fait, non, elle ne souhaitait pas tisser sa toile, préférant se laisser bercer par la brise, pousser comme une feuille au soleil, dériver au fil des ans, jusqu'à ce que la mort, doucement, la pousse dehors puis referme la porte derrière elle.
Le temps était enfin venu de refermer un à un les cercles de sa vie.
Il faut vraiment que je le voie, se dit-elle, et pourtant elle détestait parler affaires. Elle aurait préféré prendre possession de la maison comme l’avaient fait avant elle le brin de paille, le lierre et l’araignée, s’installer parmi eux, tout simplement. Elle soupira. Il y avait tant à faire avant de pouvoir s’asseoir tranquillement dans le jardin! [...] Quel dommage de ne pas disposer de l’anneau d’Aladin! Même si l’on ne cherche que la simplicité, comment échapper à la complexité de la vie?