Etonnement,
Craig Russell, spécialisé dans l'écriture de romans policiers, est un auteur écossais mais ses intrigues se déroulent en Allemagne. À la lecture de ce roman, on ressent fortement sa connaissance quasi-parfaite de la langue germanique ainsi que de sa culture, même s'il écrit ses romans dans sa langue natale. Mélange assez détonnant donc d'un auteur anglo-saxon qui situe ses romans dans un autre pays que le sien. L'autre particularité de Russell est de mêler à ses romans la mythologie du conte, ici celle des frères Jacob et Wilhelm Grimm, comme le titre anglais Brother Grimm l'indique davantage que sa traduction française par ailleurs. Jan Fabel, qui donne son nom au cycle romanesque, est la figure principale sur laquelle s'appuie notre auteur et, au demeurant, ils partagent certains points communs: Fabel est certes allemand d'origine mais possède de par sa mère des origines écossaises. Ce personnage ne détonne pas vraiment de l'image d'autres policiers que nous pouvons croiser chez d'autres auteurs, il endosse l'image du vieux briscard célibataire, éternel homme divorcé, avec enfant (fille tout particulièrement, pourquoi?) à la clef et qui entretient une relation pas forcément régulière avec une femme.
le roman est classiquement découpé en chapitres, lesquels laissent place, de façon anonyme évidemment, au meurtrier et à quelques scènes placées sous sa focalisation. le meurtre, qui au début, apparaît comme étant un événement isolé est rapidement relié à d'autres événements tragiques. Les policiers vont peu à peu se rendre compte qu'ils ont affaire à un criminel un peu particulier, qui s'appuie non pas sur la véritable existence des frères Grimm, mais celle romancée, du côté obscur de la force, et créée de toutes pièces par un auteur particulier Gehrard Weiss . Chaque victime fait partie des desseins machiavéliques d'un homme, fou ou sain d'esprit c'est à vous de le découvrir, et est représentative d'une représentation mythique de ces célèbres fables. Et c'est ici que nous touchons au point fort, à l'intérêt de ce roman policier: la visite, la revisite des
contes, de la vie de ces deux frères et de toute la dimension allégorique qu'ils incarnent.
Mais je crois qu'un petit retour sur les frères Grimm s'impose: linguistes et philologues (la philologie étant l'étude d'une langue à partir de textes anciens) allemands du XIXe siècle. Les deux frères n'avaient qu'un an de différence, Jacob étant l'aîné. On a la fâcheuse tendance à penser les Grimm en tant qu'auteurs des
contes qu'ils relatent mais les deux frères n'étaient finalement que des compilateurs de légendes ancestrales danoises et germaniques (On pensera à Blanche-Neige et
Hansel et Gretel) et même françaises (Le Chat Botté et Barbe bleue) qu'ils sont allés recueillir au centre et dans le nord de l'Allemagne. À l'origine, le contenu de ces
contes était tel qu'ils n'étaient pas adaptés pour les enfants et au fur et à mesure que les histoires ont été remodelées au cours des différentes éditions, le contenu en a été modifié, presque édulcoré, même si une forme certaine de violence est apparue. L'histoire retiendra qu'ils sont également à l'origine de la conception du premier dictionnaire de langue allemande.
Auteur fictif du roman sur lequel l'assassin de
Contes Barbares s'appuie pour monter sa mise en scène, Gehrard Weiss dans La route des
contes a compulsé le carnet de voyage imaginaire de Jacob Grimm accompagné de son frère Wilhelm, qui a pour but de rassembler les
contes publiés ensuite dans l'ouvrage
Contes de Grimm et Mythes allemands. Dans cette fiction, Jacob Grimm était représenté en tant que tueur en série de jeunes filles et femmes, massacrant sa victime à chaque visite des villages qu'ils visitaient avec son frère. Plus important, chaque meurtre apparaissait comme la réplique du conte collecté, le but de ces crimes étant pour le frère assassin de maintenir en vie le sens de ces
contes. le point de vue porté par Weiss sur les
contes populaires allemands en ce qui nous concerne, est particulièrement pertinent et apporte un éclairage nouveau à la « compréhension du mythe et du folklore ». Il porte l'idée que les mythes transposés à travers les figures de ces
contes, grand méchant loup, de la sorcière, ne sont que les transpositions de nos représentations cinématographiques actuels, qui ont pour but de canaliser et d'évacuer nos peurs, nos angoisses et phobies les plus profondément ancrés en nous.
Un des reproches que l'on pourrait adresser à ce roman, c'est de constamment utiliser les termes allemands relevant du microcosme policier sans jamais les transposer en français: il s'agit certes d'un parti pris assumé par le traducteur mais à mon avis cela ne simplifie pas la lecture de ce polar. Puisqu'en plus, le lecteur n'est pas forcément coutumier de la langue, qui a pour habitude de faire des mots composés, parfois très longs, j'imagine que cela peut vite devenir déroutant: entre Jan Fabel le Kriminalhauptkommissar, Kriminalkomissar, le Hauptkommissar, la KriPo, le Präsidium, la SpuSi, le Kriminaloberkomissar, la Mordkommission, Universitätsklinikum, Obermeister, Krankenhaus (et sur ce point, je ne comprends pas vraiment ou se situe la problématique de la traduction puisqu'il s'agit tout simplement d'un hôpital…) tout comme le basique diminutif Mutti, qui revient du reste à plusieurs reprises, qui ne signifie rien d'autre que Maman. le lecteur peut vite se mélanger les pinceaux, si en plus de cela, il faut retenir les différents quartiers de la ville dont il est question. J'imagine bien que ces grades ne trouvent pas forcément leur équivalent dans notre ou d'autres langues, néanmoins un peu plus de clarté dans la dénomination de chacun des protagonistes et de chacune des institutions policières en question aurait été non négligeable!
Ainsi, c'est un roman policier diablement intéressant qui nous plonge au sein d'un monde des
contes détournés et pervertis, dans son acceptation la plus funeste, dont tire profit l'auteur. Et j'avoue que c'est une épatante idée d'avoir mélangé ces éléments culturels et légendaires au cadre d'une histoire policière, somme toute, assez commune. de quoi nous redonner l'envie de (re)plonger plus profondément dans l'univers des frères Grimm, dont le travail est trop fâcheusement cantonné au conte pour enfant!
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