Mai le vent de Volhyn n'est pas longtemps l'ami des herbes, des fleurs et de l'âme qui aime et soigne la vie. Du côté des très lointaines montagnes Rocheuses, il arriva un jour en brûlantes rafales . Sous le ciel obscurci, il agita et roula la terre volante réduite en fine poussière. Martha, prise de chagrin pour le tourment qu'allaient subir ses fleurs, tenta de leur venir en aide
Tôt ce matin-là, malgré la douleur qui à présent s'éveillait en son corps en même temps qu'elle, Martha sortit de la basse petite maison chaulée pour venir , en fichu blanc noué sous le menton, son tablier gonflé d'air, reconnaître en son jardin les plantules à peine dégagées de la graine, tout juste perçant à la vie. Car c'était le printemps revenu tout de même encore une fois, ce printemps qui, vers Volhyn, avait bien plus long et plus difficile trajet à accomplir que vers n'importe quel autre coin du monde.
Dès l’automne nous vivions dans la grande salle; le petit appentis servant de cuisine en été devenait alors une sorte de pièce de débarras où s’entassaient les meubles et les outils dont nous n’avions plus besoin. Je traversai cette pièce glacée, soulevai avec peine le loquet rouillé. Un paquet de pluie me frappa au front.
Et le coeur de Martha s'attendrit de façon mystérieuse comme si dans ce jeu éternel du vent, des herbes et du soleil, il y avait pour elle une inlassable consolation. p. 147
L’aspirine en tout cas la soulageait un peu. Dans ce peu de bien-être, ses pensées, comme déjà libérées, s’élevaient, s’en allaient dans le passé rejoindre un air de musique lointaine. Un air qui avait trait à l’été- toujours donc l’été, saison de la vie, saison du cœur- qui exaltait la chaleur, les cerisiers en fleurs et parlait aussi de jeunes hommes et de jeunes filles réunis pour danser sur l’herbe d’un pré autour d’un arbre isolé. Ainsi, par quelques bribes de mélodie que retrouvait son souvenir, par quelques paroles lui revenant à l’esprit, elle se sentait rejointe mystérieusement par une âme inconnue d’elle, dont la nostalgique tendresse était toute vivante encore dans ce vieux chant d’Ukraine. L’immortalité, était-ce donc vrai?
Que n’avait-elle encore fait de ses mains : des oreillers également gonflés de plumes d’oies, des courtepointes colorées, sans compter les milliers de repas qu’elle avait préparés, et toutes ces basses besognes ingrates, comme de tuer de la volaille ou de recueillir le sang chaud du cochon encore vivant et qui crie. S’il n’y avait pas eu son jardin et ses fleurs pour témoigner en sa faveur, combien plus d’effroi encore n’eût-elle ressenti à quitter ce monde.
(p. 128, “Un Jardin au bout du monde”).
Dehors, une plainte toujours! C’est le vent de plaine qui souffle ici comme vent de mer, en porte l’angoisse et, de même en effet que de l’eau, sans trêve rebrousse et agite les herbages.