Pas de repos pour Harry qui entre en cinquième année : après les calamiteuses vacances de mise, la rentrée à Poudlard s'annonce plus mouvementée que jamais. Depuis que Voldemort est de retour, l'école est devenue un champ de bataille : les Serpentard font des leurs ; le Ministère de la Magie fait pression sur son directeur Dumbledore ; et que dire de ce dernier qui reste obstinément caché, de Ron et Hermione qui semblent lui faire de l'ombre, d'un début de rébellion chez les Détraqueurs…
Il est bien loin le temps où le jeune Harry s'émerveillait du monde des sorciers ; désormais vient l'adolescence, et ses tourments sont amplifiés par la menace permanente de son ennemi juré. La grande force de J. K. Rowling est justement d'avoir su bâtir une psychologie pour son héros capable d'évoluer au fil de ses traumatismes et de son rapprochement de l'âge adulte : il devient critique envers les adultes, de manière justifiée mais souvent trop impulsive ; la haine qui l'anime envers ceux qui l'ont privé d'une existence heureuse l'empêche de rester un personnage lisse : nous avons désormais un héros imparfait face à un monde qui l'est tout autant, sans jamais tomber dans les écueils du « Je suis un ado rebelle qui explose le système ». Et pour être honnête avec vous, il y a énormément de choses qu'il vit et que j'ai traversées aussi, même après la fin de la puberté. Enfin, après la méfiance dans le prisonnier d'Azkaban et la maîtrise de la jalousie dans La Coupe de Feu, Harry va désormais apprendre à devenir un meneur, les méthodes que cela implique mais aussi le prix des responsabilités.
Mais parallèlement à l'apprentissage de Harry, ce aussi l'occasion pour l'autrice de continuer sa critique de la société moderne : avec L'école des sorciers, il s'agissait du conformisme ; avec La chambre des secrets, de la discrimination ; avec le prisonnier d'Azkaban, de l'ordre et de la justice ; avec La Coupe de Feu, de la société du spectacle ; cette fois, L'Ordre du Phénix s'intéresse à la place de la vérité. Un rôle à prendre d'autant plus à coeur dans un monde où désormais les créatures les plus repoussantes peuvent devenir vos alliés et où le pragmatisme des Serpentard devient de plus en plus compréhensible. le Ministère de la Magie instrumentalise l'information pour garder le pouvoir le plus longtemps possible, quitte à signer sa propre perte. Les médias en prennent pour leur grade depuis un ou deux tomes, et ça ne va pas s'arrêter : à côté de la Gazette du Sorcier, nous découvrons le Chicaneur, une feuille de choux à mi-chemin entre Paris Match et
Didier Raoult sous LSD. Malheureusement, il finit temporairement par devenir le seul recours pour le héros afin de répandre la vérité sur les affaires que tente d'étouffer l'État. Il a de la chance qu'il n'y ait pas de zététiciens dans le monde des sorciers…
Face à une telle complexité, il fallait des personnages à la hauteur. Si l'auteure avait réussi jusque-là à créer des interactions intéressantes, aucun d'entre eux n'était spécialement original ou tortueux ; mais les choses changent, parce que le Ministère de la Magie tente de museler Dumbledore avec Dolores Ombrage, une méchante exceptionnelle adepte du harcèlement moral et des châtiments corporels sous ses airs de Mamie Nova (oui, un peu comme
Marine le Pen, mais dans des vêtements kitschs !) ; son autoritarisme derrière des gants de velours est fascinant à observer et en dit long sur la gentillesse affichée de certaines figures extrémistes se faisant caressantes pour gagner en popularité (même si bon, à chacune de ses apparitions, je vous avoue que j'étais surtout en train d'imaginer de nouveaux moyens de la torturer jusqu'à ce que mort s'ensuive…).
Ceux qui étaient déjà là s'affinent également : Dumbledore commet des erreurs ; Rogue n'est plus sadique juste par méchanceté gratuite ; la famille Weasley est plus fragilisée que jamais ; Cho Chang qui n'était jusque-là qu'un objet de désir apparaît comme une amante à la psychologie torturée ; et que dire de la place toute particulière de Neville, dont on découvre l'étendue de la souffrance et qui parvient pourtant à donner un sens à sa vie… ou de Dumbledore dont chacune de ses rares apparitions sont une masterclass en matière de charisme.
Du côté de l'humour, enfin, on aurait pu croire que la série se calmerait avec son assombrissement ; bien au contraire, Fred et George sont toujours là, ainsi qu'une nouvelle venue excentrique, Luna Lovegood. Une espièglerie constante survole ainsi le livre (en balai)… jusqu'aux 100 dernières pages, ce qui ne rend la claque du retour au réel que plus monumentale.
Par contre, on ne peut pas dire non plus qu'il s'agisse d'un sans-faute : d'autres personnages comme Drago, Crabbe, Goyle ou Hagrid restent toujours aussi unidimensionnels (même si des choses pourraient bien changer du côté des Malefoy). Et puis bien entendu il y a les raccourcis de scénario : les prisonniers d'Azkaban peuvent rentrer au Ministère comme dans un moulin, mais pas à Poudlard ?! Admettons, Dumbeldore est plus vigilant, donc il a mis des sortilèges de protection, mais je suis surpris qu'ils n'aient pas dû affronter plus de surveillance au coeur du Ministère. Sans compter que si on ne peut pas se téléporter par transplanage à Poudlard, bizarrement on le peut sans problème avec un Portoloin…
Certaines idées auraient même pu être poussées davantage : puisqu'on est en train de parler de la presse, pourquoi ne pas créer un journal étudiant édité en toute clandestinité pour ridiculiser Ombrage ? Mais L'Ordre du Phénix se rattrape par son élargissement du worldbuilding : nous avons enfin des explications sur la nature des fantômes, et le Département des Mystères est un endroit rempli de bizarreries poétiques, ou au contraire particulièrement glaçantes. L'une d'elles en particulier m'a rappelé un certain plan de Prince des Ténèbres de
John Carpenter : quelque chose de peut-être bien plus effrayant que toute l'horreur lovecraftienne réunie…
En dépit des défauts habituels de son autrice, Harry Potter et l'Ordre du Phénix est une nouvelle fois un tome enthousiasmant. le final fait un choc bien plus grand encore que le précédent, et d'après les spoils qu'on m'a fait sur le suivant, ça n'a pas l'air d'être prêt de s'arrêter. C'est donc avec une grande hâte que je lirai Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé… et puis bon, c'est pour ma culture.
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