Ne rien dire ! Ne rien dire ! J’ai commencé à croire que j’étais responsable personnellement de ce qui m’était arrivé, que j’avais créé le terreau permettant une telle monstruosité. Je pensais aussi que parler n’aiderait en rien dans l’enquête qui était déjà en cours et que mon témoignage n’avait aucune valeur. Puis je ne voulais pas que tout cela soit étalé en public, qu’on raconte tout ça à des millions de gens… Puis peu à peu, j’ai tourné le dos aux autres, je me suis exclue de la société, j’étais victime d’un symptôme post-traumatique. Le temps a passé, puis un jour j’ai ouvert les yeux, j’ai compris que je n’aurais pas dû me taire. Retenir mes émotions et mes sentiments aussi longtemps n’a été que négatif pour moi. J’espère qu’en racontant mon histoire, certaines de ces personnes seront encouragées à trouver quelqu’un à qui parler, qu’il s’agisse d’un ami, d’un confident, de quelqu’un dans votre paroisse si vous êtes croyant…certaines personnes ont fait serment de garder vos secrets « bien au chaud », il vaut mieux parfois moins souffrir à deux que de souffrir trop seul.
Eh oui, Denise aimait les jolis garçons, mais Janice aussi, je vous rassure, même mariée. Mais qui a pu faire disparaître deux jeunes femmes sans même qu’on ne le voie ? Parfaitement impossible ! J’ai alors utilisé les médias, encore et encore et encore et encore… Du monde avait vu celui que les gens pensaient devoir appeler Ted : jeune, beau garçon, tee-shirt et short blancs, le bras en écharpe, avec un accent britannique. Un joueur de tennis se serait-il perdu aux abords du Lac Sammamish ? (On entend la voix de Ted au loin « Bonjour Janice, je suis enchanté, moi je m’appelle Ted »). Ted ? Ed ? Fred ? Ned ? Comment pourrait-on croire un seul instant qu’un homme donnerait son vrai prénom à la terre entière quand il ne voudrait être vu de personne ? Assez fou pour jouer avec nous ou assez sûr de lui pour croire que rien ne pourrait le stopper ?
Ce ne sera pas la peine d’essayer de comprendre dans mon passé ce qui aurait pu m’amener à devenir un assassin, un tueur en série, un monstre. Employez la terminologie qui vous plaira, je m’en fiche totalement. J’ai vécu une enfance des plus calmes, il est vrai sans savoir au départ toute la vérité sur mes origines, sur ma famille, sur le fait de savoir qui étaient vraiment ma mère et mon père. Pourtant, j’ai grandi dans la paix d’un foyer protecteur et uni, nous allions à la messe tous les dimanches, nous étions très croyants. Enfin, mes parents l’étaient, je ne sais même pas si un jour j’ai cru en quelque chose.
Je suis la voix du bien face à celle du mal. Appelez-moi Robert, John, Nick, Kathleen, Don, Bob, peut importe quel nom vous me donnerez, je suis l’âme de toutes celles et tous ceux qui ont fait que pour une fois le méchant ne puisse pas s’en sortir. Je serai la voix qui toujours l’enfermera dans ses doutes et ses contradictions. Je serai la main qui le saisira au bond pour qu’il ne puisse plus s’échapper une dernière fois. Je serai le juge qui le punira au nom des Hommes et de l’Humanité. Je serai vous qui souhaitez, un peu, au fond de votre âme, qu’il souffre autant qu’il a pu faire souffrir.
Jamais je n’ai oublié que ces femmes avaient été assassinées sans autre raison que leur charme et leur gentillesse. La terrible réalité de leur mort est devenue ma réalité aussi. Leur tragédie était mon traumatisme. Pendant longtemps, j’ai vécu avec la culpabilité de me demander si Ted m’avait vue chez ces femmes, s’il les avait assassinées maladivement et compulsivement pour faire disparaître en elles ce qu’il haïssait en moi. Je suis reconnaissante d’avoir survécu, reconnaissante de pouvoir résoudre mes problèmes, reconnaissant de la résilience que Dieu donne aux humains.