Dans les rayonnages de la médiathèque, il n'était pas en évidence. Tête penchée, je lis «
Le tribunal des oiseaux », chez
Actes Sud. Je le tire et le prends en main. Sous le titre, en tout petit, est écrit roman traduit du néo-norvégien.
Couverture grise, avec des oiseaux noirs qui s'envolent, semblant surgir d'une chevelure, noire elle aussi, agitée par le vent. Un bord de mer.
Tous ces indices me font retourner le livre, je lis vite fait la quatrième de couverture, curieux et intrigué. Impossible de le reposer, il rejoint celui que je viens de chroniquer sur les papillons.
220 pages, huis clos. S'il est bon, il sera vite lu.
En effet, j'ai été happé. En deux jours. Et pourtant, il y avait d'autres activités pendant le week-end. Chapitres courts sans titres, pas de longueurs douloureuses dans les phrases, le format
Actes Sud propice à vite changer de ligne, toujours le même personnage qui raconte, ça pourrait sembler fade et insipide, il n'en est rien. J'ai tourné les pages, jusqu'à la dernière.
Un premier roman. Prix de la traduction du PEN. Mais traduit dix ans après sa parution en norvégien. Néo-norvégien, la version originale doit être saisissante, car déjà dans « Reste si tu peux, pars s'il le faut », j'avais apprécié le pouvoir de ces mots venus d'ailleurs, des fjords déchiquetés emplis de froid, de brumes et de lenteur.
Récit efficace d'une rare intensité malgré la légèreté des phrases, un roman d'ambiance au suspense maîtrisé, mâtiné de fantastique et de mythologie nordique. La couverture m'a fait penser aux Oiseaux d'
Hitchcock, et la comparaison avec
Daphné du Maurier n'est pas usurpée, surtout le fameux
Rebecca, qui me rappelle également les tourments de Jane Eyre.
Alors, rappel de l'époque victorienne ? Non, c'est le « je » qui me fait penser à ces autres merveilles. Récit autobiographique, peut-être pas, mais incontestablement, on se met vite à la place du personnage narrateur. Et surtout, il n'y a pas de superflu. J'avais trouvé trop long le « Veiller sur elle », où les deux personnages ne se répondent pas suffisamment, car trop parsemé de longueurs dues à l'étalement dans le temps.
Agnès Ravatn oppose aussi un homme et une femme, mais dans un seul lieu, et au cours d'une seule année. Ce qui en fait une proximité immédiate et un huis clos oppressant. Une sorte de match de ping-pong tourné à l'extrême ralenti, pour distiller les sentiments et faire apprécier la précision des coups, toujours au ras du filet ou près des lignes, pour ne pas dire en borderline.
Les deux protagonistes sont en rupture, avec deux personnalités qui s'affrontent à l'intérieur d'eux-mêmes et vis à vis de l'autre.
Qui est-il ? Qui est-elle ? Que font-ils ensemble ? Quelle est leur histoire personnelle ? Leur passé tourmenté permettra-t-il de comprendre la difficulté du présent et d'espérer un avenir en commun ? L'histoire distillée au compte-gouttes avance dans un décor naturel qui sublime la contemplation. le récit est parsemé de courts dialogues qui envoûtent le lecteur dans une attente exacerbée.
C'est elle qui raconte, donc un brin d'autobiographie sous-jacente. Et la nature qui ajoute une touche de profondeur inextricable due à la proximité de la mer et de la forêt. Une maison, un jardin, un décor de rêve, mais deux humains qui font des cauchemars. Un côté « Sukkwan Island », mais avec une écriture féminine qui adoucit la tension dramatique.
Oui, mais c'est quoi l'histoire ? J'y viens, soyez patients, je me dois moi aussi de ménager le suspense et réfréner le malaise ambiant. Les indices, je vous les fournis à dose homéopathique, comme dans le livre.
L'héroïne ? Allis, une trentenaire présentatrice d'une émission de télévision fuyant un scandale médiatique.
Le héros ? Sigurd, un quadragénaire taiseux natif du lieu, mais seul dans sa maison.
Que vient-elle faire là ? Fuir la société, qui l'a malmenée. Pourquoi ici ? Une annonce d'aide à domicile. Elle accepte.
Il s'agit de préparer les repas et d'entretenir le jardin redevenu à l'état de friche. Il est valide, il pourrait s'en occuper ? Non, lui aussi est en friche. Il passe la plupart de son temps isolé dans son bureau.
« Il se tut, se referma sur lui-même. Cette façon de s'absenter, de se réfugier dans le silence : comme s'il se retirait dans ses appartements ».
Même lorsqu'il est visible, il semble absent.
Elle trouve l'endroit magique, elle n'a pas vu le hic.
« Sans faire de bruit, je refermai le portail derrière moi et me dirigeai vers la porte d'entrée. Je frappai mais personne ne répondit. J'eus un léger frisson, posai mes affaires sur le perron et fis le tour de la maison par le sentier dallé. Et là je vis le paysage s'ouvrir. Sur l'autre rive du fjord se dressaient des montagnes violettes où subsistaient encore quelques taches de neige. Partout des broussailles encerclaient la propriété ».
La cohabitation est étrange, les secrets des personnages se délivrent crescendo, mais adagio assai, la vérité se dévoile très lentement, au rythme du fjord que semble n'agiter aucun flux tempétueux.
« - Vous êtes là depuis une semaine, dit-il en regardant le bord de la table.
Je ne répondis pas.
- Vous vous plaisez ici ?
Il leva les yeux.
- Oui.
- Cela vous dirait de rester un certain temps ?
- Oui, Tout à fait. Merci.
- Vous recevrez votre premier salaire au bout d'un mois. Cela vous va ?
Je fis oui de la tête.
- Vous avez des questions ?
J'hésitai.
- Vous pensez pouvoir me donner du travail jusqu'à quand ?
- Tant que ma femme est en voyage, j'aurai besoin d'aide. Pour la maison et pour le jardin. Jusqu'à la fin de l'été, dans un premier temps.
- Cela me convient tout à fait. »
Et puis le récit de la légende de Balder, fils d'Odin. La mythologie accompagne la souris dans la maison. le mélange du passé et du présent est troublant, diabolique.
Et non, je ne vous en dirai pas plus ! Il faut lire ce roman pour comprendre le titre, pour s'imprégner du caractère des deux comparses, pour apprécier ces lieux magiques et ensorceleurs.
« Des hommes et des femmes sont apparus entre les arbres, ils portaient de longues capes noires et des masques. Des masques d'oiseaux ».
Allez-y, plongez, vous en ressortirez fébrile, mais vous aurez passé un bon moment, et ça, c'est bien le plus important...