Un court texte autobiographique dans lequel Ramuz raconte comment, tous les ans, avec les enfants de son Collège classique cantonal de Lausanne, ses « vacances » se déroulaient durant 3 semaines pour les vendanges du vignoble de l'Yvorne, situé sur les pentes de la plaine du Rhône.
Là, avec ses camarades âgés comme lui d'une dizaine d'années, il participe à la récolte du raisin, avec des femmes venues de Savoie pour la cueillette.
Mais aussi, en cachette, les enfants assistent à l'activité mystérieuse du pressoir.
Et puis, enfin, à la fin des vendanges, ils sont invités à la fête qui rassemble toutes celles et tous ceux qui ont travaillé, et où les enfants ont le droit de boire quelques verres de vin (une autre époque!) et finissent la soirée un peu, voire beaucoup, éméchés!
C'est un récit plein d'allégresse, de poésie, de nostalgie, un vrai bonheur de lecture.
Et comme toujours chez Ramuz, les descriptions des paysages et des lieux sont absolument magnifiques.
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Puis voilà qu’on constate encore qu’on est de deux ou trois ceps en retard déjà sur ses voisines ; on a un petit mal de dos, on a un petit mal de tête ; on a encore la bouche pleine de l’épaisseur sucrée de trop de raisins avalés la veille et qui se mêle au goût du mouton aux raves qu’on a mangé pour le dîner (c’était le traditionnel repas des vendanges) ; une grande envie de dormir, et terriblement exigeante, venait flotter par là-dessus ; – pourtant il faut qu’on avance, il faut même qu’on se dépêche sans quoi les femmes vont se moquer de vous ; on empoigne sa seille par ses deux oreilles de bois, on la soulève, qui est lourde ; on la monte d’un pas ou deux, on la pose à nouveau dans l’argile où elle s’enfonce ; – et le brouillard en s’élevant découvre devant vous l’infinité des feuilles, le bizarre brouillard de ces pays déjà à demi montagneux, où il s’amuse à descendre et monter plusieurs fois de suite, cachant les rochers, les pâturages, les forêts, puis seulement les rochers ; puis, de nouveau, toutes choses et encore une fois les vignes elles-mêmes ; avant que définitivement il se défasse et il s’éparpille, comme quand on déchire entre ses doigts, en mille petits morceaux, une feuille de papier.
Mais, plus à droite encore, dans des régions encore plus aériennes et sur les bords mêmes du ciel, là venait la grande merveille : je la revois au fond de moi- même comme sept femmes agenouillées, les mains jointes, vêtues de blanc. Vêtues de blanc, tout là-haut, ou d’or, ou d’argent, ou de rose, selon l’heure, mais tellement brillantes et aériennes qu’elles semblaient déjà soustraites à la matière ; tout là-haut vers le sud et au-dessus des grandes gorges noires où règne toujours une demi-nuit, et elles, au contraire, toujours dans la lumière : sept grandes femmes agenouillées, et séparées de nous par un premier seuil d’air ; mises là les unes à côté des autres, aux portes du ciel, à genoux ; roses, jaunes, tout en or ou tout en argent, et qui illuminaient l’espace, tout en le transfigurant : les sept Dents du Midi avec leurs neiges et leurs glaciers.
Et, à présent, du côté de la montagne, le brouillard, qui s’était élevé encore, pendait au- dessus des bois noirs et des rochers comme ces gros plumiers pleins de plumes de poules qu’on expose devant les maisons au grand soleil pour les faire gonfler ; tandis que, du côté de la plaine, là son épaisseur lisse allait s’amincissant et s’usant toujours plus comme par une usure naturelle, laissant venir à vous les objets que d’abord elle avait recouverts, laissant voir par des trous les buissons, le bout des roseaux ; alors il y avait dans sa surface des taches noires, elle commençait à se tacher de noir, – noire et blanche, cette brume, – puis elle prenait fin dans le bout de la plaine, c’est-à-dire dans le pied de l’autre chaîne, et là elle était tranchée net comme un coup de ciseaux.
L’inlassable pressoir n’arrête pas de faire entendre sa plainte au fond de mon souvenir, accompagnée du monotone crépitement du cran d’arrêt tombant entre les dents de la roue d’engrenage.
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix
autour du livre : Farinet ou la fausse monnaie
de Charles Ferdinand Ramuz
enregistré le 20 juillet 2023
en présence de Gérard Comby (membre de l'Office tourisme de Saillon & de la Commission du Patrimoine)
Résumé :
Un généreux Robin des bois, roi de l'évasion, porté par la plume de C. F. Ramuz.
Farinet, c'est un fameux faux-monnayeur, roi de l'évasion et Robin des bois qui vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au XIXe siècle. Arrêté pour avoir fabriqué de fausses pièces qu'il distribuait généreusement dans les villages de montagne, il s'évade à de nombreuses reprises. Ce héros populaire à la vie romanesque et rocambolesque meurt à 35 ans, en 1880. Cinquante ans plus tard, Ramuz s'empare du personnage et en fait le héros d'un récit classique, haletant comme un roman d'aventure, mais porté par son style unique : irruption du présent au milieu d'une phrase, mélange des temps qui rend le présent dense et incandescent, langue vaudoise aux accents paysans transfigurée par une écriture singulière, moderniste, au confluent des révolutions artistiques du XXe siècle (il est passionné par Cézanne et Stravinsky). Farinet se serait caché un temps au fond de la vallée de Chamonix, dans une grotte au-dessus de Vallorcine. Un petit mémorial y est installé.
Ce roman est paru pour la première fois en 1932.
Bio de l'auteur :
Ed Douglas, journaliste et écrivain passionné par l'Himalaya, a publié une douzaine de livres, dont plusieurs ont reçu des prix. Deux ont été traduits en français : de l'autre côté du miroir (Éditions du Mont-Blanc, 2018), Himalaya, une histoire humaine (Nevicata, 2022). Il publie des articles de référence dans The Observer et The Guardian. Il est rédacteur en chef de l'Alpine Journal et vit à Sheffield, en Angleterre.
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