Qui au cours de sa vie de locataire ou propriétaire, n'a jamais été confronté à un voisin tapageur, pourrisseur de journées, torpilleur de nuits, persécuteur de la moindre seconde, au point qu'à l'unique solution du déménagement malheureusement difficile à mettre en oeuvre, succède rapidement chez sa victime, une envie de meurtre, plus rapide et efficace, pour mettre fin à une musique tonitruante, à une perceuse névrotique ou aux aboiements frénétiques d'un chien mal éduqué ?
Dans
Approche des Ténèbres,
Diana Ramsay prête vie à Ms Joyce Chandler. Non pas Miss ou Mrs, mais Ms (Miz) ainsi que le Women's Lib Movement en préconisait l'usage à la fin des seventies pour éviter toute discrimination liée à l'état-civil d'une femme. Joyce a quitté son mari – il n'y a pas de retour possible – et trouvé un travail de correctrice dans une revue littéraire. Elle s'occupe du remplacement indispensable de l'article indéfini par le défini, de la correction de points de stylistique ou de l'élimination d'une dernière virgule sérielle. Elle déniche aussi un studio dans Greenwich Village, qu'elle arrange à son goût après avoir versé trois mois de loyer, un mois de caution, un mois pour l'agent immobilier, fourni les références ad-hoc et plus si affinités avec le propriétaire, on connaît la musique. Tout irait donc pour le mieux pour elle, si sa voisine du dessus n'avait un goût prononcé pour la musique écoutée à un niveau sonore qui fait vibrer l'appartement de Joyce et l'empêche de dormir.
Joyce tente une négociation avec Charlotte Bancroft, et obtient quelques jours de répit avant que ne reprenne l'insoutenable tintamarre. Nouvelle négociation, quelques heures d'apaisement. Il vient en conséquence à Joyce une idée que je ne vais évidemment pas révéler, pour mettre fin à son calvaire. Une idée qui entraîne des réactions en chaîne, à découvrir dans ce roman exceptionnel qui se termine dans une apothéose de subtilité psychologique. Les idées les plus simples sont souvent les meilleures, en littérature comme dans d'autres domaines. A partir d'une nuisance d'une grande banalité,
Diana Ramsay réussit le tour de force de bâtir une histoire insolite, machiavélique, dont l'atmosphère est suffocante, asphyxiante. Dès les premières pages, le lecteur est soumis à une angoisse prégnante, tant il pressent l'inéluctabilité d'un drame, sans qu'il puisse deviner quelle forme il prendra. On ignore les motivations de Charlotte, qui reste une voisine énigmatique, tandis que la vie de Joyce se désintègre lentement sous l'effet des tourments endurés.
Publié en 1978,
Approche des Ténèbres est selon mes critères, un roman éblouissant, que l'on pourrait résumer par cette phrase : “Une fois qu'une personne a entrepris la destruction d'une autre personne, c'est comme une descente en luge. La force d'impulsion grandit, grandit, et le destructeur n'a plus le pouvoir de s'arrêter”.
PS : Ne pas lire ce roman la veille de "La fête des voisins".