On ignore à peu près tout de Jean Hey... Seul un tableau de 1494 conservé aux musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles documente sa vie avec certitude : un "Ecce Homo" comportant au revers une inscription où il indique son nom, celui de Jean Cueillette (commanditaire) et suggère aussi l'origine flamande de sa formation (reproduction p. 300). Jean Cueillette connu pour avoir servi Charles VIII et son entourage, mena les historiens de l'art sur la piste d'un autre peintre dont la réputation s'était forgée entre Lyon et Moulins auprès du couple de mécènes formé par
Anne de France (fille aînée de Louis XI et soeur de Charles VIII) et Pierre de Beaujeu futur duc de Bourbon, dans le dernier quart du XVe, "Maître de Moulins" dont les travaux sur la collégiale leur permit de faire le rapprochement entre les deux. L'identification des deux artistes en un seul définitivement établie à partir des années soixante on parle spontanément de Jean Hey aujourd'hui comme "
Le Maître de Moulins" comme on peut nommer sans avoir à le démontrer et à plus de cinq siècles d'écart Soulages récemment disparu "Maître de Conques". La biographie romancée de Jean Hey, alias le "Maître de Moulins " probablement actif en France entre 1480 et 1501, restait à inventer.
Chose faite avec Y. Quero qui fait sortir des oubliettes une période assez peu visitée ou prisée des auteur(e)s, la pré-renaissance française, sans doute occultée par le rayonnement du quattrocento italien, mais échoue pour moi à donner relief et passion à son personnage central Jean Hey, grand portraitiste (portrait du dauphin Charles-Orland, p. 314) et auteur de scènes religieuses d'une lumineuse spiritualité (triptyque de Moulins peint v. 1500), intermédiaire entre l'art septentrional (du côté flamand H. Memling meurt en 1494, à Nuremberg c'est A. Dürer qui monte en puissance) et l'art italien qu'il voit introduit en France (Mantegna et G. Bellini sont ses contemporains). Jean Hey devient ici le raisonnable commentateur de son travail auprès de ses mécènes sans habiter celui qu'il est censé faire revivre. La chronique détaillée des événements historiques liés à la vie supposée du peintre jusqu'à sa mort est-elle trop envahissante ? Oui, même si parfois distrayante. Elle rappelle jusqu'à l'anecdotique le moment de transition politique et artistique qui balaye les dernières années du règne de Louis XI, la régence d'Anne durant la minorité de son frère Charles, l'accession au pouvoir dudit Charles VIII, la guerre menée contre son cousin Orléans qui deviendra Louis XII.
"Guerre folle" et rattachement de la Bretagne à la France, avancées de l'empire ottoman en Europe, relations du pouvoir royal avec le Vatican et les grandes principautés italiennes et, au gré des mariages arrangés (répudiation et divorce : Marguerite d'Autriche, Jeanne de France), des querelles dynastiques ou d'héritages revendiqués, les ambitions et prétentions géostratégiques des rois de France qui s'étalent (guerres transalpines de Charles VIII et Louis XII en particulier) : la toile de fond politique est riche ! Un peuple de têtes couronnées, mitrées ou princières, trois rois, quatre reines, moult dauphins et dauphines (une hécatombe d'enfants morts-nés ou en bas âge !), trois papes dont un Borgia, évêques et archevêques, prêcheurs (Savonarole) princes, ducs et chambellans entourent un Jean Hey figé dans une piété de bon aloi. Ses oeuvres peu connues du public, bien répertoriées par l'auteur il faut le dire, sont reproduites ici (peintures, vitraux, grisailles, dessin, miniature, sculptures, éparpillées de par le monde, rarement montrées*).
Vingt années de création sont relayées dans une fièvre d'échanges, commerciaux et artistiques, c'est bien vu, à travers la concurrence des grandes foires provinciales européennes. Un climat de religiosité mystique et de sorcellerie un peu caricatural, piètre reflet de la spiritualité du moment (avec la figure emblématique du calabrais François de Paule), tente de pimenter l'intrigue romanesque où
Jean Bourdichon et l'art de l'enluminure sont pour le moins maltraités. le reste des personnages, les différents commanditaires, proches, confrères et amis du peintre (Jean Perréal,
Jean Prévost, tout comme sa fiancée Philippine), ne rattrapent pas l'affaire. Alors on s'interroge durant la lecture, entre Gand où il se serait formé dans l'atelier de H. van der Goes, Autun où il réalise une Nativité pour le cardinal
Jean Rolin (musée d'Autun) et, de Lyon (où l'archevêque Charles de Bourbon l'a pris à son service), jusqu'à la cour brillante de Moulins qui le voit réaliser son chef d'oeuvre lors des travaux d'embellissement de la collégiale (triptyque** et vitraux) : Qui est ce peintre étouffant sous les conventions et l'histoire ? On ne le saura pas. le livre ne parvient pas à pénétrer le lieu intérieur produisant la lumineuse éternité vers laquelle semble tendre l'oeuvre de Jean Hey. La "fenêtre sur le divin" est fermée, l'oeuvre reste lointaine, inaccessible à l'oeil d'aujourd'hui. le rendez-vous se fera ailleurs. Déception.
* (je renvoie à la lecture du catalogue d'une expo organisée en 2010 par la Rmn et l'
Art Institute of Chicago : "France 1500 : Entre Moyen Age et Renaissance", où l'oeuvre de Jean Hey était exposée)
** le trésor de la cathédrale de Moulins, dans l'Allier, va fermer pour travaux durant deux ans. Son célèbre triptyque attribué à Jean Hey, entièrement restauré, y sera de nouveau présenté en 2024 (source : Connaissance des arts).