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EAN : 9782757823231
256 pages
Points (28/04/2011)
4.28/5   9 notes
Résumé :
" Que nous écrivions, parlions ou simplement regardions
Nous sommes toujours innapparents. Ce que nous sommes
Ne peut être transfusé dans un mot
Dans un livre."

La poésie anglaise de Fernando Pessoa exerce la fascination particulière des textes écrits dans une langue étrangère. En adoptant un style élisabéthain, Pessoa accentue encore ce sentiment d'étrangeté et fait de l'anglais un vecteur de création absolue. Cette édition rass... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Retour vers un de mes poètes préférés, Fernando Pessoa, au travers d'un recueil dont le titre a éveillé ma curiosité : Poèmes anglais.

Ce livre traduit et préfacé par Georges Thinès regroupe un ensemble de courts recueils publiés entre 1913 et 1920, soit du vivant même de l'auteur et sous son propre nom, chose plutôt rare durant toute sa carrière littéraire.

Pour l'histoire, En 1895, Pessoa a 7 ans lorsqu'il quitte, en compagnie de sa mère et de son beau-père, Lisbonne pour l'Afrique du Sud. Scolarisé à la High School de Durban, il est un élève brillant. C'est en 1906, sans y laisser de regrets et d'amis, qu'il décide de regagner définitivement le Portugal. le seul trésor qu'il emporte avec lui, c'est une profonde connaissance de l'anglais. Elle restera pour l'écrivain qu'il devint plus tard une aide constante dans sa vie professionnelle (de retour à Lisbonne, il deviendra et pour longtemps, correspondant dans une société d'import-export à Lisbonne) mais aussi dans son univers mental.

C'est en empruntant au style élisabéthain, à la Renaissance que Pessoa compose ses premiers poèmes en anglais. L'intonation de son écriture peut paraître déroutante, voire quelque peu archaïque. Mais ce choix particulier a fait son chemin et a fait naître de très beaux poèmes comme Antinoüs ou des compositions plus métaphysiques comme les 35 Sonnets.

Publiés en version bilingue, les Poèmes anglais n'ont pas tous la même résonance, ne sont pas de valeur égale. Certains d'entre eux m'ont paru sans profondeur, sans grand intérêt.

Antinoüs et les 35 sonnets sont les deux recueils qui m'ont le plus touché. le premier s'inspire de l'Histoire antique en décrivant le désespoir de l'empereur romain Hadrien en mémoire d'Antinoüs, celui qui fut son favori, un jeune homme d'une grande beauté. Une belle méditation dans laquelle apparaît toute la maîtrise de Pessoa, dans une langue étrangère qu'il fit sienne et le respect chez lui de la forme, de la métrique et de la rime qui avaient cours durant la Renaissance (cette maîtrise est très perceptible dans la version originale, peut-être moins dans sa traduction) :


(...)
« So he half rises, looking on his lover,
That now can love nothing but what none know.
Vaguely, half-seeing what he doth behold,
He runs his cold lips all the body over.
And so ice-senseless are his lips that, lo!,
He scarce tastes death from the dead body's cold,
But it seems both are dead or living both
And love is still the presence and the mover.
Then his lips cease on the other lips' cold sloth. »

« Il se lève à demi, regarde son amant,
Qui ne peut plus aimer que ce qu'aucun ne sait.
Vaguement, voyant à peine ce qu'il regarde,
Il couvre tout le corps de ses lèvres glacées.
Celles-ci sont tellement insensibles de gel
Qu'il goûte à peine la mort sur le froid du cadavre.
Mais l'un et l'autre, dirait-on, sont morts ou vifs
Et l'amour est encore l'impulsive présence.
Ses lèvres s'arrêtent alors sur les lèvres passives et froides de l'autre
(...) »


Les 35 sonnets se rapprochent eux plus de la poésie de Fernando Pessoa, de celle qu'on lui connaît, portée par ses nombreux hétéronymes, Ricardo Reis, Alberto Caeiro et Alvaro de Campos. On retrouve dans les Sonnets, une écriture plus introvertie, plus métaphysique où affleurent les contradictions, les rêveries, une sensualité transcendée dans un langage sans équivalence. Et puis la déréliction, la solitude d'un écrivain qui était le sujet mais aussi la condition de sa poésie.

Belle et immuable, comme ce texte extrait de la La Mare illuminée (The Shining pool) :

« Le poème

Un poème sommeille en moi
Qui exprimera mon âme entière
Je le sens aussi vague que le son et le vent
Non modelé dans sa forme accomplie

Il n'a ni stance, ni vers, ni mot
Il n'est même pas tel que je le rêve,
Rien qu'un sentiment confus de lui
Rien qu'une brume heureuse entourant la pensée

Jour et nuit dans mon mystère intime
Je le rêve, je le lis, je l'épelle
Et sa vague perfection toujours
Gravite en moi à la frange des mots

Jamais, je le sais, il ne sera écrit
Je sais et j'ignore à la fois ce qu'il est
Mais je jouis de le rêver
Car le bonheur, même faux, reste le bonheur »


.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Je suis plus vieux que la nature et que son temps
De tout l'âge intemporel de la conscience,
Et mon oubli, à l'âge adulte, du pays
Où j'ai vu le jour n'a pas fait de moi un apatride.
Oui, une obscure nostalgie traverse mes pensées diurnes
Pour le pays où rêva mon enfance
Sans que je puisse évoquer sa couleur ou sa forme,
Elle hante mes heures à la façon d'une lueur passée
Que je ne puis pourtant me rappeler comme une lumière
Ni situer à gauche ou à droite ;
Le goût des choses qui m'entourent est celui
Qu'aurait la vie si elle avait sombré dans la mort
Et si le monde n'existait que pour ne pas être cru.

Je mets donc mon espoir dans une vérité inconnue
Pourtant
Comment l'atteindre si ce n'est par l'espoir ?


(extrait de "35 sonnets").

.
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La pensée est aveugle mais elle sait ce qu’est le regard.
Son toucher prudent qui distingue formes et contours
Suggère que la forme est cette chose dont le tact à l’affût
Vient draper l’être propre dans une errante obscurité
D’où vient dès lors, sinon de vision devinée, que le toucher
Nous apprend de lui-même qu’il n’est qu’un sens fermé et vide ?
Comment le tact, insatisfait, peut-il en s’accroissant atteindre
L’intelligence totale d’un sens plus véridique ?
Si, la chose une fois touchée, le tact se retire,
Ma mémoire conserve quelque chose de connu du réel extérieur ;
Ainsi la mémoire du toucher, qui elle-même ne touche pas, est pourvue
Du sens d’un sens qui révèle les choses lointaines.
Ainsi, grâce au tact erronément juste du non tact
La pensée tactile du voir, loin de voir les choses,
Ne voit que la vision.
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Un poème sommeille en moi
Qui exprimera mon âme entière
Je le sens aussi vague que le son et le vent
Non modelé dans sa forme accomplie.

Il n'a ni stance, ni vers, ni mot.
Il n'est même pas tel que je le rêve.
Rien qu'un sentiment confus de lui,
Rien qu'une brume heureuse entourant la pensée.

Jour et nuit dans mon mystère intime
Je le rêve, je le lis, je l'épelle,
Et sa vague perfection toujours
Gravite en moi à la frange des mots.
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Mais puisque les hommes voient plus par les yeux que par l’âme
Je clamerai dans la pierre mon immense douleur ;
Inquiet pourtant que par ta présence ils soient dévorés de désir
Je chargerai le marbre de ce regret
Qui brille dans mon cœur comme une étoile majeure.
Ainsi, même dans la pierre, notre amour sera si grand
Dans ta statue de nous, pareille au destin d’un dieu,
Essence incarnée et désincarnée de notre amour,
Que, comme une trompette traversant les mers
Et portant son éclat de continent en continent,
Notre amour mêlé à la mort dira sa joie et sa douleur
A travers les infinis et les éternités. 
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Combien de masques et de sous-masques portons-nous
Pour voiler l’expression de notre âme Et quand
Par jeu, l’âme elle-même tombe le masque
Sait-elle si c’est l’ultime et si elle voit la face
indubitable ?
Le vrai masque ne sent pas l’intérieur du masque
Mais regarde au-delà avec des yeux masqués.
Quelle que soit la conscience qui amorce le jeu
Son exercice condamne à l’insomnie
Pareilles à l’enfant effrayé de son image en miroir
Nos âmes, qui sont des enfants livrés à la distraction,
Attribuent à d’autres leurs propres grimaces
Et créent tout un monde en oubliant qu’ils le suscitent ;
Et lorsqu’une pensée tente de faire tomber le
masque de notre âme
C’est encore masquée qu’elle s’efforce de
démasquer. 
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Vidéo de Fernando Pessoa
Lecture de Quatrains au goût populaire de Fernando Pessoa, traduit par Danièle Faugeras et Lorena Vita Ferreira, illustré par Inge Kresser paru aux éditions érès (collection Po & Psy). Lecture par Danièle Faugeras (poète, animatrice Po&Psy).


Fernando António Nogueira Pessoa, né le 13juin1888 à Lisbonne, est un écrivain, critique, polémiste et poète portugais d'expression trilingue (portugais, anglais et français). Théoricien de la littérature engagée dans une époque troublée par la guerre et les dictatures, inventeur inspiré du sensationnisme, ses vers mystiques et sa prose poétique ont été les principaux agents du surgissement du modernisme au Portugal. Il meurt des suites de son alcoolisme à Lisbonne le 30novembre 1935.
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10/06/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER

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