Très très bon roman, dont les personnages et la fameuse Maison restent avec vous longtemps après l'avoir refermé. Il y a tout d'abord cette fameuse Maison, un personnage silencieux et impassible, témoin et même quelque part instigatrice des joies et des drames qui secouent cette famille su
r une cinquantaine d'années. le genre de maison qui a pu hanter vos rêves, somptueuse, mais lointaine. Pourquoi le père, l'agent immobilier Cyril Conroy, a-t-il décidé de la laisser totalement intacte, y-compris dans son contenu, après l'avoir achetée? Sans doute voulait-il aussi achete
r un style de vie, une forme de patine qui est l'apanage de l'"old money", une fortune en tout cas plus ancienne que la sienne, vous direz-vous. Méfiez-vous des apparences. Mais, tout de même, cela va jusqu'à laisser les immenses et intimidants portraits des VanHoebeek, les propriétaires hollandais précédents, aux côtés de la cheminée monumentale et de laisser tous les livres reliés plein cuir sans jamais les toucher sur les étagères surplombant le secrétaire, et pour cause les livres étant rédigés en néerlandais, autant dire du chinois pour les nouveaux occupants de la "Maison des hollandais". Et puis Elna, l'épouse qui s'était unie à un "pauvre" et qui ne pouvait supporter de se retrouver dans ce palais, abandonne le foyer et les deux enfants, Maeve, alors âgée d'une dizaine d'années, et Danny, le narrateur, si jeune encore alors qu'il ne conservera pas de souvenirs de sa mère dans cette première partie de sa vie. Puis Andrea, la seconde épouse, fera son entrée. Elle a tout de la marâtre Cendrillonnesque, car à travers Cyril c'est la maison qu'elle vise, pour elle et ses deux filles, Norma et Bright. Lorsque le père décèdera prématurément elle ne tardera pas à mettre dehors, livrés à eux-mêmes et sans ressources, les enfants du premier lit. Maeve et Danny se serreront les coudes et, durant de nombreuses années, reviendront se garer tout près de la maison pour ruminer ou marquer les événements de leurs vies. Maeve est animée d'une volonté de vengeance digne d'un Monte-Cristo qu'elle assumera selon ses moyens, en poussant son frère à faire des études dont il ne veut pas, pour épuiser le fonds familial destiné à financer les études des enfants (Maeve en étant exclue), seule chose dont les enfants du premier lit ont hérité. La vie suit alors son cours, jusqu'au jour où...
Beaucoup retrouveront en Maeve ou en Danny des traits rappelant certains membres de leur famille. Maeve s'est sacrifiée pour son jeune frère, Danny, mais ce sera au prix d'une exigence implacable avec laquelle Danny devra composer. Et il y a le souvenir constant de cette maison, cette sorte de matrice familiale et la clé d'un mystère dont ils ont été brutalement arrachés. L'auteure a l'intelligence de ne la décrire que relativement sommairement, sauf pour souligner quelques détails qui avaient frappé les enfants Maeve et Danny. Et puis il y a le portrait de Maeve, enfant, dont l'histoire complète révélera la complexité de Cyril en fin de récit. Quelque part la Maison était une sorte de belle au bois dormant qui attendait une génération suivante... En refermant le livre on se plaît à se demander ce qui a pu arriver à Bright mais aussi, décidément, à se demander qui est réellement Elna, dépeinte comme une sainte mais que l'on déteste ou vénère alternativement au fil du récit.
Je reprocherais juste à l'auteure un abus des flash-backs et autres passages incessants du passé à l'avenir en passant par le présent. Parfois on a un peu de mal à se resituer dans le récit et je me demande si ces figures stylistiques étaient à ce point nécessaires.
Mais ce livre m'a énormément touchée car il évoque ce qui nous ancre, dans tous les sens du terme, matériel, spirituel et familial, et ce avec toutes les joies et les tragédies que cela comporte...