Pourquoi ne pouvait-il jamais regarder un match sans boire plusieurs canettes de bière ? "Parce que c'est bon", dit-il à Eva en déposant sur le bout de son nez un peu de crème à raser. Ce geste idiot la troubla, elle aurait aimé que Pierre chahute encore un peu, qu'il la bouscule dans le lit, qu'il mette ses mains froides dans son cou juste pour qu'elle le supplie d'arrêter et qu'il continue. Mais elle ne lui demanda pas.
[ "A tout jamais" ]
Décidément, on ne pouvait jamais participer au monde des grands, c'était toujours trop gai ou trop triste : tantôt on parlait si fort devant Luc en clignant de l’œil et c'était un mensonge, tantôt on baissait la voix quand il arrivait et c'était un secret.
[ "Joseph, la nuit..." ]
"Un petit chat", disait Pierre en regrettant un peu qu'elle ne fasse pas un effort pour ranger la maison. Oui elle était comme cela, un petit chat et la vie coulait, une vie doucement ensommeillée à l'image d'Eva le matin, une vie libre et sans projet comme celle des chats, mais ils ne le savaient pas, alors ils oublièrent. Ils oublièrent de se serrer dans les bras, très fort, ils oublièrent de sentir combien les joues de Pierre étaient douces et le corps d'Eva brûlant. Comme un œuf. Brûlant.
[ "A tout jamais" ]
_ Joseph, la nuit _
Luc était petit.
Petit Luc..."Fini ta viande, ne gâche pas".
Il baissa la tête.
Dans son assiette blanche à ramages, la tranche affalée était épaisse et suintante, elle devint vite son ennemie, une ennemie rusée : plus il mâchait, plus elle grossissait, prenait toute la place dans la bouche, pire qu'un mouchoir en boule.
"Du gibier ! Oh!"
Ils avaient tous les joues roses quand Marinette avait posé le grand plat au centre de la table.
Du gibier ! Qu'est-ce que ça voulait dire ?
Ça voulait dire que les invités étaient des gens très estimés et que la viande n'était ni de la vache ni du mouton, non, ça devait être un de ces animaux sauvages après lesquels les chiens aboient dans les feuilles mortes et que l'on pend par les pieds devant les boucheries, avec leur langue au ras du trottoir.
Après on arrachait les poils et on coupait en petits morceaux, mais la tête, bien entière, la tête ensuite, comme un diplôme on la clouait au-dessus de la cheminée.