Qui a peur de la mort ? est un roman dont j'entends parler depuis sa sortie. J'étais impatience de le découvrir pour voir si vraiment on y trouvait ce renouveau de la fantasy qu'on me vendait partout. Pour être honnête, je ne sais pas si on peut vraiment parler de renouveau du genre. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il apporte par contre un nouveau décor et de nouvelles questions forts intéressantes, sur lesquelles il est nécessaire de réfléchir.
Ce roman, auto-conclusif en un volume (ce qui est assez rare pour le souligner en fantasy), a été écrit par une autrice américano-nigériane qui a décidé de faire de son patrimoine familial une richesse pour ses écrits. Elle va ici s'appuyer sur son expérience personnelle de la mort et du deuil (sur lesquels elle revient dans la postface) et sur sa culture familiale africaine. Cela donne clairement un récit différent de ceux que j'ai pu lire jusqu'à présent car les questions qui y sont abordées sont totalement inédites sous cette forme pour moi.
En effet, le récit prend place dans une Afrique post-apocalyptique où vivent plusieurs ethnies. Celles-ci sont en conflit et l'une d'elle en a même asservie une autre, ce qui donne lieu à de terribles scènes de violence au quotidien. Autour de ce postulat de base,
Nnedi Okorafor a bâti tout un récit autour des questions de races, d'ethnies, de génocide, de viol, de patriarcat, et de bien d'autres questions qui toutes prennent racines dans la culture et l'histoire africaine qu'elle revisite et critique ainsi. Cela donne un ton très fort à son récit et je pense que tout le monde peut ainsi être touché parce qu'elle y raconte.
Pour autant, ce n'est pas juste un texte critique sur ce qui se passe en Afrique, c'est aussi un récit de fantasy avec tous les codes du genre. Ainsi avec une plume vive, légère, simple et sans fioriture, donc agréable à suivre, on suit la quête d'une vie, celle de la jeune Onyesonwu. Née à la suite d'un viol, celle-ci a toujours vécu en paria, peu importe où elle se trouvait. Mais à l'aube de son adolescence, elle va se découvrir un don qui va lui ouvrir les portes d'un autre monde. Ainsi comme dans tout récit de fantasy assez classique, nous allons suivre les premiers pas d'Onye qui découvre ses pouvoirs, puis ses démarches pour devenir apprentie, son cours apprentissage, et la mission qu'elle s'est fixée à l'aide des pouvoirs qu'elle a obtenues. Mais contrairement à ce que propose souvent les récits du genre, on ne prend jamais exactement la mesure de tout ce qu'elle peut accomplir car la magie n'est qu'un simple artifice dans son vaste destin. le vrai but n'est pas de faire l'étalage de ses pouvoirs, mais plutôt de s'en servir pour amorcer une révolution qui va tout changer. C'est ce que j'ai aimé dans ce récit.
Il est en fait à mi-chemin entre la fantasy et la science-fiction dystopique. Nous suivons un peuple opprimé, qui opprime lui-même des gens, et l'ensemble de ces hommes et femmes doivent être libérés de la prison dans laquelle ils vivent. Onye représente ainsi parfaitement la figure de l'élue et ses amis seront de parfaits disciples qui l'aideront à accomplir sa destinée. Il y a une dimension hautement religieuse, sans le vouloir peut-être, dans ce titre. Au final, la mission d'Onye est de réécrire le Grand Livre (= la Bible ou tout grand texte religieux) pour sauver tout le monde. Elle incarne donc à merveille le Messie et tout dans ses aventures y fait penser, depuis son enfance dans le désert, le remariage de sa mère avec un artisan, son acceptation des traditions avant sa rébellion quand elle les aura mieux comprises, ses rencontres mystiques, son voyage à travers le désert et les rencontres (animales et humaines) qu'elle y fait, les miracles qu'elle accomplit dans les villes, jusqu'à sa confrontation finale, sa capture et son martyr. Toutes les étapes y sont, et bizarrement, moi qui suit une farouche athée qui déteste tout ce qui a trait à la religion, j'ai aimé et je me suis laissée emporter par ce personnage.
Parce que la grande force de
Nnedi Okorafor, en plus de peindre un décor particulièrement réaliste, c'est de rendre ses personnages concrets et attachants. Malgré la dimension magique et futuriste du récit, ce que vivent les personnages ne peut que nous rappeler notre présent. Les injustices auxquelles ils sont confrontés, sont celles que connaissent tout un tas de femmes et d'hommes de nos jours. Suivre depuis l'enfance une paria comme Onye, qui est à la fois forte et fragile, qui vit avec le poids de sa conception, est poignant. On ne peut que s'attacher à ce personnage qui a pourtant aussi des côtés bien agaçant, mais sa quête insatiable de justice et de liberté raisonne en moi. Son compagnon Mwita est aussi un être paradoxal, à la fois moderne et pétri d'idées patriarcales du passé, mais il est près à tout pour elle. Ses amies, elle ne les a pas choisies, mais elles lui ont toutes apporté quelque chose. Elles sont toutes très différentes entre elles et vis-à-vis d'Onye, elles représentent les différentes facettes des femmes et même si elles sont parfois agaçantes, elles sont très humaines aussi. Un peu plus en retrait, les hommes – mentors de l'héroïne, représentent un peu ses vieux sages qui croient tout savoir mais se trompent. Ici, ils apprennent de leurs erreurs et rappellent ainsi un peu la figure des grands-parents. J'ai gardé pour la fin les parents d'Onye. Son père biologique est l'archétypique de l'obscurantisme et du fanatisme, il ressemble énormément aux chefs de milice africaine, il est détestable. Quant à sa mère, à l'inverse, elle est pour moi LE personnage de cette histoire. C'est une survivante, une guerrière, qui a su se remettre de ce qu'elle a subi, élever sa fille, la guider et l'appuyer jusqu'au bout. J'ai eu un gros coup de coeur pour elle.
Vous l'aurez peut-être compris,
Qui a peur de la mort ?, est un titre en somme classique dans son déroulé pour de la fantasy, mais qui a su me toucher et me bouleverser dans la forme qu'il a pris. C'était la première fois que je lisais un texte faisant directement référence à la culture africaine, à ses traditions, à ses déviances, à ses problèmes et souffrances. le ton de l'autrice, simple et direct, mais empreint de cette culture et surtout très féministe m'a touchée. Je me suis attachée aux personnages tout au long de cette histoire où on les voit grandir. Les sujets soulevés amènent à lire des scènes assez dures, mais elles sont nécessaires, et le mélange entre la Fantasy et la SF y contribue pour beaucoup.
Qui a peur de la mort ? n'aura pas révolutionner le genre, mais il aura su me marquer. Une lecture indispensable pour moi !
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