Une jeune femme que son mari vient de quitter souffre d'une étrange maladie : alors que tout est silencieux, elle entend en permanence dans sa tête des sons d'instruments de musique et le moindre bruit extérieur résonne douloureusement en elle. En dépit de nombreuses visites à l'hôpital, l'origine de son mal reste mystérieuse. Elle accepte de raconter son expérience à un magazine de santé et est irrésistiblement attirée par le balais des doigts du du sténographes, aérien et sensuel. Commence une relation mystérieuse et subtile entre les deux personnages qui tissent des liens....
Quel plaisir de lire
Amours en marge de
Yoko Ogawa ! L'auteur signe là un de ses meilleurs roman, et nous entraine dans son univers si particulier fait de subtilité, de nuances et de sentiments.
La qualité première de
Yoko Ogawa est de maîtriser à la perfection la gamme infinie des sentiments qu'elle appose sur ces personnages. L'histoire d'amour entre les deux personnages n'est pas de celles qui semble évidente. On sent que les deux personnages, unis par le hasard, peuvent séparés aisément par les aléas de la vie. L'amour n'est dans ce livre qu'un lien ténu prêt à se rompre qui unit deux personnages, ignorant tout l'un de l'autre mais attirés l'un vers l'autre par une attraction confuse, basée sur des choses qui semblent presque insignifiantes (le mouvement des doigts du sténographe...).
Yoko Ogawa traduit la fragilité des sentiments humains et la difficulté que l'on rencontre à aller vers l'autre pour mieux le connaitre.
A aucun moment la femme ne semblera comprendre le sténographe qui reste mystérieux. Cette distance en dépit de la relation que les deux personnages entretiennent est marqué par l'usage permanent par la narratrice du mot sténographe pour désigner cet homme qu'elle ne connait pas et que d'ailleurs elle ne nomme jamais nommément.
C'est d'ailleurs ce qui fait le talent de
Yoko Ogawa, qui en nous mettant face à des personnages qui se dévoilent par une focalisation à l'extrême sur des détails, nous permet de comprendre ce qui motive ces personnages, tout en laissant une large part de choses suggérées et non dites qui laissent un lecteur dans un état d'incertitude permanent. Cet état, loin d'être frustrant constitue, à mon sens, le plus grand facteur d'intérêt de l'oeuvre de
Yoko Ogawa : les métaphores et suggestions de l'écrivain obligent le lecteur à faire travailler son imagination pour découvrir le sens caché des actions en appendice insignifiantes de ces personnages d'allure désespérément lisse, qui cachent des significations profondes.
Ce qui étonne positivement dans le texte, c'est la maitrise maximale du schéma narratif de Yoko ogawa, qui traite avec talent d'un thème délicat : celui du souvenir, de la manière dont il peut être conservé. L'auteur nous montre que la mémoire, suite de souvenirs épars, est défaillante. Les hommes sont incapables à la fois d'entretenir des amours entiers mais aussi de se souvenir de leur vie. le personnage principal ne vit telle pas le fil de sa vie après le choc du départ de son mari par cette maladie qui lui fait entendre des sons éphémères et multiples qui suggèrent le vaste écho informe des souvenirs ? Son attirance pour les doigts du sténographe ne vient elle pas du fait que ces doigts capturent des instants de vie ?
Cette interprétation de la manière dont l'homme veut se souvenir mais n'y parvient jamais est remarquable .
Au delà de l'acte du souvenir,
Ogawa questionne le pouvoir de l'homme à laisser un souvenir durable. L'auteur semble nier une quelconque capacité de l'homme à faire cela. Les lieux sont déshumanisés et ne semble qu'être des espaces ou les personnages se meuvent, plongés dans leur états d'âme. La présence de l'univers hospitalier, symbole de la déshumanisation est d'ailleurs récurrente chez
Yoko Ogawa. Même dans ses rapports à l'autre, l'homme ne semble pas capable d'imposer son souvenir à l'autre. L'impossibilité d'une relation durable entre les deux personnages semble faire écho à cette dimension. En dépit d'échanges de réflexion, les deux personnages restent étrangers l'un à l'autre.
Un des meilleurs romans de
Yoko Ogawa, qui fait montre d'une réelle maitrise stylistique. Un livre qui nous questionne et nous attire de manière intrigante, en nous plongeant dans un univers subtil et incertain sous des apparences d'immobilité et de lenteur.