« Tout ce qui vient du Sud sera affublé de l'étiquette grotesque par le lecteur du Nord, à moins que le sujet ne soit réellement grotesque, auquel cas, il recevra l'étiquette réaliste ».
(Flannery O'Connor)
J'avais croisé sans le savoir Flannery O'Connor il y a bien longtemps, via l'adaptation de son roman «
La sagesse dans le sang » par
John Huston. le genre de film où l'on ne capte pas tout mais qui laisse une impression de malaise durable. Je les ai enfin retrouvés sur Babelio dans la critique de jeff2u12, grâce lui soit rendue.
Dans ce premier roman, on suit les pérégrinations de gens qui ont juste assez de neurones pour tenir leurs sphincters et proférer des absurdités. Ils sont ballotés par la vie et tentent parfois des initiatives désastreuses. Alors forcément, leurs comportements sont erratiques et leurs vies miteuses ne vont pas vers le beau.
Dans son deuxième roman «
Et ce sont les violents qui l'emportent », un jeune garçon, élevé dans une ferme isolée par son grand-oncle fou de Dieu se retourne à la mort de ce dernier vers son oncle instituteur athée. Il est encore malléable, se tournera-t-il vers le bien (entrer dans le monde moderne) ou vers le « bien » (aller de par le monde prêcher la rédemption) ?
Ses
nouvelles ne sont pas moins dérangées. Cette édition de ses oeuvres complètes en contient 26 des 31 qu'elle a écrites. On suit encore le même genre de personnages mais on a moins le temps de fouiller les arcanes de leurs pensées ou actions, ce qui les rend plus brutales. Il y est souvent question de personnages moins abrutis que la moyenne, mais imbuvables et qui se font généralement quand même poisser par la triste réalité de leurs environnements. D'autres sont justes des tranches de vies pitoyables, sans qu'un drame ne survienne.
On se demande un peu où elle voulait en venir, ce qu'elle voulait raconter de son Sud des États-Unis, depuis sa triple position d'outsider.
D'abord parce qu'elle était malade, atteinte d'un lupus héréditaire très invalidant qui avait tué son père alors qu'elle avait 15 ans et qui l'emporterait avant ses 40 ans. Ses dix dernières années ont été un calvaire dont la seule joie était l'écriture. Et peut-être aussi les oiseaux, notamment les paons de la ferme de sa mère où elle s'était réfugiée dès les premiers symptômes, à 25 ans.
Elle était ensuite catholique dans un arrière-pays très marqué par les baptistes, une sorte d'extrémistes protestants mi-allumés mi-affairistes (on croise quelques uns de ces prêcheurs ambulants qui deviendront bientôt télé-évangélistes). Pour elle, ce n'est pas anodin, elle a écrit que ce qu'elle écrivait était fortement imprégné de sa foi. Et pourtant, je n'ai pas vu en quoi. Si c'était juste pour dire que les « concurrents » baptistes sont des abrutis dangereux, c'est réussi. Mais les deux prêtres catholiques qui apparaissent dans deux
nouvelles ne sont pas dépeints de façon élogieuse non plus. Et j'ai du mal à imaginer que ses ambitions se limitaient à ça.
Parce qu'elle était enfin une intellectuelle, échouée par les circonstances dans un univers d'une bêtise crasse, mélange détonnant de religion et de manque d'éducation, de pauvreté (à des degrés divers) et d'avidité, de fractures sociales apparemment inconciliables (entre blancs et noirs ; entre petits blancs « white trash » et ceux s'en tirant un peu mieux) et de constante pression sociale (chacun observe ses prochains à la recherche de la petite bête).
C'est sur ce monde qu'elle porte un regard d'une lucidité effarante, et c'est peut-être ce qu'elle a voulu laisser : une description sans fard de la façon dont la vie de ses concitoyens est ruinée par la bassesse de leurs pensées et ambitions. Tout ça en évitant soigneusement le moindre souffle épique, on n'est pas chez
Faulkner.
Elle ne manifeste que très rarement de l'empathie pour ses personnages et pourtant, elle les décrit et les fait vivre avec un réalisme extraordinaire. Mais elle ne se considère surtout pas supérieure et traite sans plus d'aménité tous ceux qui pourraient lui ressembler. Il y a plusieurs diplômés d'université, tous d'une pusillanimité consternante. Et dans deux
nouvelles émouvantes, elle se paie gentiment la fiole d'une intellectuelle infirme et d'une vieille fille qui se veut écrivain, qui rappellent étrangement sa propre situation.
Au-delà de ces histoires navrantes mais prenantes, cette femme reste un mystère. Peut-être sa correspondance donnerait-elle des clés, mais je préfère en rester là. Lui conserver cette aura d'étrangère à son propre monde et qui a pourtant si bien su le dépeindre.
(Et quand je pense que c'est ce terreau qui a engendré la musique que j'aime le plus au monde, cela me fascine totalement).