Georges Dufrénoy

Notre époque, hélas! est une époque de peu d'amour. Nous sommes tous, plus ou moins, des tièdes, des avares. Toute ardeur nous étonne, toute générosité nous effraie quand elle ne nous humilie pas. C'est pourquoi nous voyons tant de littérateurs, tant de musiciens, tant de peintres, se contenter de nous donner si peu d'eux-mêmes.

N'est-il pas vrai, cependant qu'en présence de la plupart de ses oeuvres l'on pourrait d'abord croire qu'il n'a fait que céder, quand il les concevait et les exécutait, à l'empire de la passion. Mais il n'en est rien et l'on ne tarde pas à se rendre compte que, tout en s'abandonnant au démon de peindre dont il est possédé, il conserve assez d'empire sur lui-même pour se maintenir dans la voie qu'il s'est tracée et atteindre les fins qu'il s'est délibérément proposées.

C'est que Dufrénoy est un peintre et n'est qu'un peintre, un de ces hommes, moins nombreux qu'on ne croit parmi ceux qui font le métier de peintres, qui ne sont capables d'autre chose que de peindre et pour qui s'exprimer autrement qu'en étalant des pâtes colorées sur un rectangle de toile, de carton ou de bois est impossible et qui surtout se gardent de faire intervenir dans l'exercice de cette fonction de peindre qui est la leur quoi que ce soit d'étranger à leur art: musique, littérature, etc.; et il arrive, d'ailleurs, que ce sont justement ces peintres qui ont dissocié le plus volontairement et le plus inexorablement l'art de peindre des. autres arts, qui réussissent le mieux, en n'usant que de moyens picturaux, à éveiller en nous des impressions musicales ou littéraires. Dufrénoy se contente donc d'être peintre.

L'imagination est une de ses facultés dominantes. La façon dont il s'empare d'un motif réel ou dont il crée, comme dans ses natures mortes, avec des éléments dispersés de réalité, une réalité nouvelle, la façon dont il transpose, embellit, magnifie l'aspect quotidien, momentané, ordinaire des choses pour en composer des images d'une exceptionnelle et impérissable splendeur n'est-elle pas la marque d'une imagination singulièrement puissante?

«Quand je montre mes œuvres, avouait un jour Puvis de Chavannes, il me semble que je me mets nu devant tout le monde».

Comme Delacroix, tout d'abord, l'on sent qu'il a l'horreur du réalisme «qui est l'antipode de l'art et de l'exactitude «que le plus grand nombre prend pour la vérité» car, «sans idéal, il n'y a ni peintre, ni dessin ni couleur».

Cette intensité dramatique ou joyeuse, ce pathétisme, ce don d'enclore dans des formes et des couleurs, plastiquement, une émotion portée à son paroxysme, est-il, d'ailleurs une seule oeuvre de Dufrénoy d'où ils soient absents, à laquelle ils ne donnent cette sonorité somptueuse et profonde, qu'ils ne revêtent de cette parure héroïque et largement humaine à la fois, par quoi toute toile sortie de sa main s'impose avec une si magistrale autorité?