Bien entendu, vous comprendrez que quand je parle des œuvres de l'homme, je n'oublie pas qu'il en est certaines, absolument nécessaires, auxquelles il ne peut appliquer l'art au sens où nous l’entendons, mais cela signifie simplement que la nature lui a retiré des mains son aptitude à les embellir. Dans la plupart des cas, les procédés sont beaux en soi, pour peu que notre bêtise n'y ait pas ajouté peine et tourment. Ce que je veux dire, c'est que la barque qui glisse sur les ondes, le soc de la charrue qui dessine le sillon pour la récolte de l'année suivante, l'andain de juin, les copeaux qui tombent du rabot du charpentier : toutes ces choses sont belles en soi et ces activités seraient même agréables si l'homme, y compris en ces derniers temps de la civilisation, n'avait pas eu la bêtise de déclarer plus ou moins que ces travaux (sans lesquels nous mourrions en l'espace de quelques jours) incombent aux esclaves et aux crève-la-faim, tandis que le travail de destruction, de lutte et de confusion incombe à la crème de l'humanité, aux gens d'esprit.
J'affirme à présent, sans ambages, que le but des arts appliqués aux articles utilitaires est double : premièrement, ajouter de la beauté aux résultats du travail de l'homme qui, le cas échéant, serait laid ; et deuxièmement, ajouter du plaisir au travail lui-même qui sinon serait fastidieux et rebutant. Si tel est le cas, nous devons cesser de nous étonner que l'homme se soit toujours efforcé d'ornementer le travail de ses mains, qu'il ait besoin d'avoir autour de lui chaque jour et chaque heure, ou bien qu'il se soit toujours efforcé de transformer les affres de son labeur en plaisir quand cela lui semblait possible.
"L'Art et l'Artisanat d'Aujourd'hui"