La vie des gens se résume souvent à un vaste gâchis. A-t-on jamais une excuse valable pour aller voir ailleurs ?
Il faut se méfier des souvenirs. Ils sont dangereux.
J'ouvre la bouche pour crier sans produire aucun son. La femme devant moi révèle au creux de sa main un petit objet. Un frisson me parcourt l'échine. L'instant d'après je tremble de la tête aux pieds.
— Allô ?
Pas de réponse. Ashley patiente, tend l’oreille. Le jour où l’on devient mère, les appels téléphoniques prennent un tour inquiétant : les enfants, les enfants. Toujours les enfants…
— Ici Ashley Thomas, hasarde-t-elle en vain.
Seul le silence de la maison résonne autour d’elle. Holly gazouille. Vient ensuite le bruit d’une cuiller tombant sur le sol. Ashley songe à son mari. Où se trouve-t-il en ce moment ? Avec qui ? Qu’est-il en train de faire à cette seconde précise ? Elle raccroche et croque les granulés de café, dont l’amertume lui emplit la bouche.
— Le père de Corinne était architecte, lui aussi, expose-t-il à Warren.
« Était »… Ce verbe au passé me fait l’effet d’un uppercut. Il va y avoir un an que papa est mort, et il me manque chaque jour. Il me manque plus que quiconque autour de moi pourrait l’imaginer.
Merci à ma famille de ne pas ressembler à celle-ci
Ashley a d’abord songé à confier sa fille à Corinne, mais il y a la galerie. Et puis… Comment oserait-on exiger d’une jeune femme en mal d’enfant qu’elle s’occupe du vôtre durant des jours entiers ?…
Mon téléphone portable sonne à deux reprises, mais, pour le moment, je n’ai pas envie de sortir de la baignoire. Je suppose qu’il s’agit de ma sœur. Comme la sonnerie retentit de nouveau, je plonge la tête sous l’eau.
Il n’y a rien à voir. Personne ne hante cet endroit. Les jambes en coton, j’inspire profondément à plusieurs reprises. À peine ai-je senti le regard de Warren sur moi que je m’empourpre. Mon pouls continue de galoper. Je ne peux pas continuer ainsi. Les nerfs toujours à fleur de peau. Affolée. Dom, qui me caresse les cheveux, me rassure encore. Hélas… C’est plus fort que moi. L’image me poursuit. Celle d’un visage à la fenêtre, le regard plongé dans le mien.
Je pousse un cri, une main sur la poitrine. Je recule d’un pas chancelant, le cœur battant à rompre.
— Non !
L’exclamation a franchi la barrière de mes lèvres avant que j’aie pu la retenir.
— Non !…
— Allons, Corinne, calme-toi. Tout va bien.
Dominique me serre entre ses bras, tente de m’apaiser, m’explique qu’il ne s’est agi que du flash de son appareil photo