NOIRE - L'histoire méconnue de Claudette Colvin
On a beaucoup parlé de
Rosa Parks, mais la première et la première fois, Rosa était descendue du bus sans faire d'histoire après que le chauffeur s'était offusqué qu'elle entre par l'entrée des Blancs. Elle s'était "juste" mise à militer ensuite et avait boycotté à titre individuel le bus quand elle voyait que le chauffeur avec lequel elle avait vécu sa mésaventure conduisait. C'est quand Claudette Colvin, adolescente, a réellement refusé de se lever d'une place à l'intérieur du bus jusqu'à ce que le chauffeur la fasse évacuer par deux policiers et qu'elle est ensuite allée alerter l'association où était
Rosa Parks, que la situation a réellement commencé à parler aux militantes. le féminin du mot "noire" prend alors tout son sens. Ce sont les femmes militantes qui ont mis le détonateur légal, ont pétitionné, écrit au directeur de la compagnie des autobus de Montgomery, puis au maire. Notamment une certaine Jo Ann Gibson Robinson, qui a écrit certains des documents dont
Tania de Montaigne, ancienne élève de l'École des hautes études internationales et politiques, nourrit sa bibliographie et qui a fait un travail énorme, invisibilisé aussi, en amont de ce qui sera l'affaire
Rosa Parks.
J'ai aimé la manière dont l'autrice choisit de marquer par des italiques le moment où les militants ou les personnes impliquées dans cette affaire deviendront des personnages, des icônes, qu'elle pourra alors nommer en italiques. Ainsi, quand le moment sera venu de faire éclater l'affaire... non, ça ne sera pas le moment où la pauvre Claudette Colvin passera en jugement, ni pour son appel ; enceinte, disqualifiée pour le titre d'icône de la cause, qu'il faut pure et sans reproche, on l'oublie. le moment viendra quand
Rosa Parks montera par inadvertance dans le même bus conduit par le même chauffeur que la première fois et qu'on inventera cette histoire de pieds douloureux, regrettable bémol à un désir d'égalité légitime à lui seul pour ne pas se lever... Bref, on la repeint en pauvre créature usée, effacée, douce mais ferme et voilà
Rosa Parks, protégée (entrée des hommes, plutôt conservateurs et peu tentés jusque-là de risquer une rupture du dialogue avec l'autorité blanche ségrégationniste, et au contraire occupés à donner des gages de soumission) par un jeune pasteur nouvellement arrivé à Montgomery, Martin Luther King Jr. Il n'a pas encore ses italiques, on attendra que l'affaire devienne fédérale puis nationale.
Le récit est magistralement rapporté, sa construction est séduisante ; traiter la manière dont ce boycott aboutit ne détourne pas Tania de
Montaigne de sa mission de désinvisibilisation des femmes en général, de Claudette Colvin en particulier, notamment même de sa réhabilitation car elle fut très largement calomniée et, pour finir, méconnue. A lire, vraiment.
L'épilogue à lui tout seul mériterait d'être cité : allez donc le lire ! après avoir lu ce qui le précède
L'ASSIGNATION - Les Noirs n'existent pas
L'Assignation porte sur des questions qui m'interrogent depuis plusieurs années. Avec
Je suis noir et je n'aime pas le manioc,
Gaston Kelman m'avait déjà fait prendre conscience de la désobligeance d'origine raciste de certaines curiosités de bonne foi comme de demander à quelqu'un quelle est son origine du fait qu'il appartienne aux "minorités visibles"... Je dis cela mais en réalité, je ne m'y suis jamais risquée personnellement. C'est assigner quelqu'un, parfois, souvent à tort, à un statut d'étranger du fait de sa couleur de peau, c'est presque aussi intrusif et d'un sang-gêne de mauvais aloi, que de demander à toucher les cheveux crépus d'une personne "d'origine". L'expression "afro-américain", "afro-européen", eurafricain", etc. n'est-elle pas aussi (alors là, j'en tombe à la renverse) une autre manière de vous sortir de France ? Alors que "noir, noire" sans le N, peut bien être chez lui, chez elle, ici !
L'autrice aborde aussi d'autres questions, certaines auxquelles j'avais déjà réfléchi, d'autres moins, très intéressantes (l'assignation à certaines valeurs du fait d'être noire, les stéréotypes racistes, le soi-disant humour racialisé/raciste...) et que je ne vais pas déflorer ici. J'aimerais juste souligner la contribution de cette oeuvre à une question qui me laissait perplexe : l'appropriation culturelle.
(...)
Je suis donc très contente d'en savoir plus sur le sujet de la part de quelqu'un qui ne fait par ailleurs - et j'en suis heureuse - aucune concession d'aucune sorte au racisme et au colonialisme.