Quel plaisir j'ai eu à parcourir l'intégralité des œuvres de Molière !
Pendant plusieurs mois, ses pièces ont été un bonheur de lecture, toutes écrites dans une langue magnifique, la plupart d'entre elles étant d'une drôlerie encore inégalée. J'ai lu la version Pléiade en deux volumes, qui possède un appareil critique assez impressionnant -environ quarante pourcents de chaque volume- que j'ai souvent consulté mais pas entièrement lu. Je peux enfin ranger ce coffret, mais il est certain que j'y reviendrai régulièrement pour y lire de nouveau certaines de ces œuvres intemporelles !
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Les amants magnifiques
CLITIDAS fait semblant de chanter : La, la, la, la, ah !
ÉRIPHILE : Clitidas.
CLITIDAS : Je ne vous avais pas vue là, Madame.
ÉRIPHILE : Approche. D’où viens-tu ?
CLITIDAS : De laisser la Princesse votre mère, qui s’en allait vers le temple d’Apollon, accompagnée de beaucoup de gens.
ÉRIPHILE : Ne trouves-tu pas ces lieux les plus charmants du monde ?
CLITIDAS : Assurément. Les Princes, vos amants, y étaient.
ÉRIPHILE : Le fleuve Pénée fait ici d’agréables détours.
CLITIDAS : Fort agréables. Sostrate y était aussi.
ÉRIPHILE : D’où vient qu’il n’est pas venu à la promenade ?
CLITIDAS : Il a quelque chose dans la tête qui l’empêche de prendre plaisir à tous ces beaux régales. Il m’a voulu entretenir ; mais vous m’avez défendu si expressément de me charger d’aucune affaire auprès de vous, que je n’ai point voulu lui prêter l’oreille, et je lui ai dit nettement que je n’avais pas le loisir de l’entendre.
ÉRIPHILE : Tu as eu tort de lui dire cela, et tu devais l’écouter.
CLITIDAS : Je lui ai dit d’abord que je n’avais pas le loisir de l’entendre ; mais après je lui ai donné audience.
ÉRIPHILE : Tu as bien fait.
CLITIDAS : En vérité, c’est un homme qui me revient, un homme fait comme je veux que les hommes soient faits : ne prenant point des manières bruyantes et des tons de voix assommants ; sage et posé en toutes choses ; ne parlant jamais que bien à propos ; point prompt à décider ; point du tout exagérateur incommode ; et, quelques beaux vers que nos poètes lui aient récités, je ne lui ai jamais ouï dire : "Voilà qui est plus beau que tout ce qu’a jamais fait Homère." Enfin c’est un homme pour qui je me sens de l’inclination ; et si j’étais Princesse, il ne serait pas malheureux.
ÉRIPHILE : C’est un homme d’un grand mérite assurément ; mais de quoi t’a-t-il parlé ?
CLITIDAS : Il m’a demandé si vous aviez témoigné grande joie au magnifique régale que l’on vous a donné, m’a parlé de votre personne avec des transports les plus grands du monde, vous a mise au-dessus du Ciel, et vous a donné toutes les louanges qu’on peut donner à la Princesse la plus accomplie de la terre, entremêlant tout cela de plusieurs soupirs, qui disaient plus qu’il ne voulait. Enfin, à force de le tourner de tous côtés, et de le presser sur la cause de cette profonde mélancolie, dont toute la cour s’aperçoit, il a été contraint de m’avouer qu’il était amoureux.
ÉRIPHILE : Comment amoureux ? quelle témérité est la sienne ! c’est un extravagant que je ne verrai de ma vie.
CLITIDAS : De quoi vous plaignez-vous, Madame ?
ÉRIPHILE : Avoir l’audace de m’aimer, et de plus avoir l’audace de le dire ?
CLITIDAS : Ce n’est pas vous, Madame, dont il est amoureux.
ÉRIPHILE : Ce n’est pas moi ?
CLITIDAS : Non, Madame : il vous respecte trop pour cela, et est trop sage pour y penser.
ÉRIPHILE : Et de qui donc, Clitidas ?
CLITIDAS : D’une de vos filles, la jeune Arsinoé.
ÉRIPHILE : A-t-elle tant d’appas, qu’il n’ait trouvé qu’elle digne de son amour ?
CLITIDAS : Il l’aime éperdument, et vous conjure d’honorer sa flamme de votre protection.
ÉRIPHILE : Moi ?
CLITIDAS : Non, non, Madame : je vois que la chose ne vous plaît pas. Votre colère m’a obligé à prendre ce détour, et pour vous dire la vérité, c’est vous qu’il aime éperdument.
ÉRIPHILE : Vous êtes un insolent de venir ainsi surprendre mes sentiments. Allons, sortez d’ici ; vous vous mêlez de vouloir lire dans les âmes, de vouloir pénétrer dans les secrets du cœur d’une Princesse. Ôtez-vous de mes yeux, et que je ne vous voie jamais, Clitidas.
CLITIDAS : Madame.
CLIMÈNE.– Il y a là une obscénité qui n'est pas supportable.
ÉLISE.– Comment dites-vous ce mot-là, Madame ?
CLIMÈNE.– Obscénité, Madame.
ÉLISE.– Ah ! mon Dieu ! obscénité. Je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le trouve le plus joli du monde.
(…)
URANIE.– C'est une étrange chose que de vous autres, Messieurs les poètes, que vous condamniez toujours les pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse qui n'est pas concevable.
Molière, Critique de l'École des femmes.
Les fâcheux
Prologue
Pour voir en ces beaux lieux le plus grand Roi du monde,
Mortels, je viens à vous de ma grotte profonde.
Faut-il en sa faveur que la Terre ou que l'Eau
Produisent à vos yeux un spectacle nouveau?
Qu'il parle ou qu'il souhaite, il n'est rien d'impossible:
Lui-même n'est-il pas un miracle visible?
Son règne, si fertile en miracles divers,
N'en demande-t-il pas à tout cet univers?
Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste,
Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste,
Régler et ses États et ses propres désirs,
Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs,
En ses justes projets jamais ne se méprendre,
Agir incessamment, tout voir et tout entendre
Qui peut cela, peut tout, il n'a qu'à tout oser,
Et le Ciel à ses vœux ne peut rien refuser.
Ces Termes marcheront, et si Louis l'ordonne,
Ces arbres parleront mieux que ceux de Dodone.
Hôtesses de leurs troncs, moindres divinités,
C'est Louis qui le veut, sortez, Nymphes, sortez
Plusieurs Dryades, accompagnées de Faunes et de Satyres sortent des arbres et des Termes.
Je vous montre l'exemple: il s'agit de lui plaire,
Quittez pour quelque temps votre forme ordinaire,
Et paraissons ensemble aux yeux des spectateurs
Pour ce nouveau théâtre, autant de vrais acteurs.
Vous, soins de ses sujets, sa plus charmante étude,
Héroïque souci, royale inquiétude,
Laissez-le respirer, et souffrez qu'un moment
Son grand cœur s'abandonne au divertissement:
Vous le verrez demain, d'une force nouvelle,
Sous le fardeau pénible où votre voix l'appelle,
Faire obéir les lois, partager les bienfaits,
Par ses propres conseils prévenir nos souhaits,
Maintenir l'univers dans une paix profonde,
Et s'ôter le repos pour le donner au monde.
Qu'aujourd'hui tout lui plaise, et semble consentir
A I'unique dessein de le bien divertir.
Fâcheux, retirez-vous; ou, s'il faut qu'il vous voie,
Que ce soit seulement pour exciter sa joie.
Pensez-vous qu'à choisir de deux choses prescrites,
Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites,
Que de me voire mari de ces femmes de bien,
Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien,
Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses,
Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses.
Qui, pour un petit tort qu'elles ne nous font pas,
Prennent droit de traiter les gens de haut en bas,
Et veulent, sur le pied de nous être fidèles,
Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles ?
L'école des femmes, IV, 8.
CÉLIMÈNE:
Il est vrai, votre ardeur est pour moi sans seconde.
ALCESTE:
Oui, je puis là-dessus défier tout le monde.
Mon amour ne se peut concevoir, et jamais
Personne n'a, Madame, aimé comme je fais
CÉLIMÈNE:
En effet,la méthode en est toute nouvelle,
Car vous aimez les gens pour leur faire querelle;
Ce n'est qu'en mots fâcheux qu'éclate votre ardeur,
Et l'on n'a vu jamais un amour si grondeur.
(Le Misanthrope - Acte II, Scène 1)
MOLIÈRE – Variations sur les fêtes royales, par Michel Butor (Genève, 1991)
Six cours, parfois coupés et de qualité sonore assez passable, donnés par Michel Butor à l’Université de Genève en 1991.