Le premier roman de
Sébastien Ministru m'a tenue sous un charme indicible. Rien de fulgurant, ni d'étincelant, mais quelque chose comme une gourmandise dans laquelle j'ai croqué avec délices et qui me laisse pour empreinte la vibration de la tendresse.
Un très vieux monsieur d'origine sarde et son fils, Antoine, le narrateur. Encore une histoire de relations familiales compliquées, me direz-vous ! Pas tout-à-fait, vous répondrai-je derechef.
Car si effectivement l'amour et la communication ne semblent pas les caractéristiques les plus probantes de cette relation, si père et fils ne savent ni se parler, ni s'entendre, ni s'aimer, aucun des deux ne se laisse entamer par la rancoeur, ni l'amertume. le vieux se monte hargneux et tranchant, alors que son fils sacrifie un peu de son temps pour gérer l'intendance, par devoir, par soumission, par convenance. Peut-être aussi en mémoire du père qui lui était plus proche dans son enfance ?
Difficilement, par saccades, des bribes de dialogue s'engagent lors des visites d'Antoine et c'est ainsi que le vieil analphabète demande à son fils de lui
apprendre à lire et à écrire. Surprise et malaise d'Antoine face à ce qu'il considère comme une exigence capricieuse et impudique ! Mais les arguments du père sont imparables. "Peut-être que lire ça fait mourir moins vite" (p.33). Peut-être que s'il avait su lire, il aurait été un meilleur père. Et comment fera-t-il si jamais, "là-haut", il faut signer quelque chose pour accéder au paradis ?
Comment résister à l'obstination d'un vieil homme de 85 ans qui, soudainement, laisse renaître le petit berger sarde, frustré d'école et de mots, qu'il fut ?
Après les premières leçons données à contrecoeur, Antoine fait appel à Ron, l'un de ses amants de passage, pour prendre la relève. Futur instituteur, le jeune homme devient insensiblement la courroie de transmission entre père et fils. le vieillard apprend à déchiffrer les mots et leur agencement et ainsi à pénétrer tardivement dans le monde de son fils, alors qu'Antoine apprend son père et, ce-faisant, il peut décrypter peu à peu les pages de sa propre vie.
Le roman joue subtilement sur la double construction du verbe "apprendre" et sur les deux versants de la relation pédagogique qu'il suggère, elle-même liée à la notion de sujet et d'objet (j'apprends à lire - je t'apprends à lire). Ainsi les rôles de père et de fils sont sans cesse renversés, bousculés, comme si ce fameux apprentissage de la lecture procédait par multiples ricochets.
L'écriture tour à tour légère, grave, ironique, donne beaucoup de rythme à la narration. Les personnages, en particulier Ron, gardent une certaine opacité jusqu'au dénouement malicieux, apaisé et mélancolique à la fois.
Oui j'ai décidément beaucoup, beaucoup aimé ce premier roman !