Je l'avais commencé durant mon voyage à New York, lisant au moins un chapitre par jour ; la situation était assez drôle quand j'y pense : un Français en vacances à New York qui lisait un Américain émigré à Paris – un New-Yorkais qui plus est !… La lecture du livre a été très rapide, j'en ressors surpris, agréablement, et satisfait. Ce n'est pas un chef-d'oeuvre, mais il excellent : le style est léger comme il faut, simple – pas simpliste –, avec une même variété de vocabulaire qu'on pouvait trouver chez Burroughs – mais en beaucoup moins élaborée, plus retenue. Sur le fond, le récit est décousu, c'est une suite de scènes – d'aventures et de mésaventures – où les personnages changent, reviennent de temps à autres – Carl et Fillmore principalement, avec le fantôme de Mona en filigrane –, un théâtre parisien où se succèdent des étrangers voués à la débauche – à l'alcool, au sexe – et des grues, c'est-à-dire les Françaises, dissolues, réduites à leur con. Il y a un caractère misogyne qui gêne au début, mais dès lors qu'on comprend au fil des pages que le personnage est d'une époque passée, que d'ailleurs ni les hommes ni les femmes ne valent vraiment quelque chose dans cette histoire (« Je suis inhumain ! » crie Miller), que ce sont tous de francs lubriques, dont la baise est un acte aussi banal qu'un café ou une cigarette, cela rentre et ne dérange plus foncièrement.
Tropique du Cancer, c'est le monde des dépravés sublimes vraiment pathétiques. le narrateur est le seul à rester immuable, constant : il commente, il raconte et il vit. Quoique l'acte charnel soit au coeur des scénettes, l'érotisme est assez chaste – peut-être est-ce aussi l'effet de l'avoir lu après
Le Festin nu – : nul détail graveleux, un tant soit peu voyeuriste – pas de quoi choquer franchement, à mon avis. Il y a de ces passages magnifiques, d'une poésie inouïe – je pense principalement au chapitre XIII qui est un régal en la matière –, où nous coulons dans la pensée du narrateur qui cogite, cogite, s'en va loin parfois, mais ses expressions et ses images foisonnent, et tout est beau ; une forme de stream of consciousness – et l'on sait tout le poétique que cette écriture de la conscience peut revêtir. de la prose poétique, mais propre au roman, qu'on ne peut trouver que dans cette forme d'art littéraire, qui perdrait son essence à l'état de poème en prose – qui est un poème à la forme prosaïque – : il s'agit là de prose et simplement de prose, d'une prose mélodieuse, riche en figures de style, en images jaillissant comme des geysers, qui régalent le lecteur d'une eau chaude, parfois brûlante, mais à la couleur et à la saveur insondables. de la pure poésie !… Difficile de dire si
Tropique du Cancer est un roman : il n'a pas d'intrigue. Ce qui est sûr, c'est que c'est une prose – et quelle prose !