Voici un énième livre que j'ai emprunté auprès de Lirtuel, la bibliothèque belge francophone en ligne, sans trop savoir à quoi je devais m'attendre. de plus, les notes disparates – mitigées sur Livraddict, mais très élevées sur Babelio – avaient bien de quoi intriguer.
Eh bien, j'ai réellement adoré !
Tout commence avec la naissance de Nell, en 2052 : la petite fille, en parfaite santé et tout à fait « normale » (selon l'acception de ce mot la plus courante quand il s'agit d'un nouveau-né) par ailleurs, est porteuse d'une écaille de poisson dans la nuque. Son cas intéresse aussitôt le vieux médecin de famille, et puis peu à peu le monde entier, car elle est ainsi la première de ce qui ressemble furieusement à une mutation génétique, pour cette enfant qui vivait si proche de la mer, et qui s'avérera très vite la première d'une longue série d'enfants porteurs d'une écaille. Jusqu'à 5 espèces de poissons d'où pourrait venir l'écaille sont répertoriés, chez des enfants toujours blancs, toujours issus de milieux socio-culturels favorisés, et toujours proches du milieu marin.
Cette particularité inspire un riche entrepreneur, Nood Spei, célèbre pour avoir commercialisé des algorithmes, lui l'ancien génie des mathématiques, et qui se targue maintenant de « sauver le monde » pour faire une planète plus juste et plus propre, dénigrant les « États pollueurs », et créant une nouvelle société, en réalité une ville flottante dernier cri, installée dans les eaux internationales :
Oxcean. Sauf que personne n'a accès à ce fameux
Oxcéan, si ce n'est les gagnants d'une compétition que Nood Spei met sur pied autour du 16e anniversaire de Nell : les (rares) gagnants seront ainsi sélectionnés pour devenir « équipiers » et, partant, les artisans de ce nouveau monde.
Quelques années plus tard, la jeune Floée, née en 2084, porteuse elle aussi d'une écaille, participe au fameux concours qui, entre-temps, est devenu beaucoup plus « formel », dans le sens où quelques enfants – comme elle – sont préparés dès leur plus jeune âge pour réussir ce concours, et faire partie des 20 gagnants, lors de la finale où s'affrontent 40 participants. La seule règle est d'y arriver, ce qui implique aussi que tous les coups sont permis, ce que Floée va vite découvrir à son corps défendant…
Le lecteur suit ainsi les histoires de Nell et de Floée en parallèle, alternant les chapitres sur l'une ou l'autre, revenant de temps en temps sur celle de Nell en partant de celle de Floée. Autant Nell apparaît d'emblée comme une petite fille de son temps (2059, c'est demain), heureuse, entourée d'une famille unie, qui s'implique elle aussi dans la sauvegarde de la Terre mais va peu à peu se poser bien des questions ; autant Floée est présentée comme une véritable « machine de guerre » destinée à devenir équipière envers et contre tout, sans état d'âme, et on a presque l'impression que c'est par hasard quand elle a l'un ou l'autre sentiment.
Les deux vont bien évidemment évoluer, en particulier Floée dans un monde qui semble tellement trop parfait qu'il titille bien un peu le lecteur, même si dans un premier temps, on s'attache très fort à cette jeune protagoniste (pour Nell, l'attachement se fera, paradoxalement, bien plus tard !), à cette personnalité de gagnante quoi qu'il en coûte ; on veut vraiment qu'elle soit dans les 20 meilleurs de cette compétition, on aime son attachement profond à l'océan et à l'eau en général, on est sensible à et puis désorienté par son mal-être qu'elle ne comprend pas, elle qui a toujours été une battante…
Autant dire que l'auteur manipule le lecteur, le mène exactement là où il veut, de telle sorte qu'on se pose les mêmes questions que la jeune fille, mais le tout avec grand art car on ne s'en rend pas vraiment compte, du moins pas dans un premier temps, car par ailleurs on se laisse entraîner dans une action bien piquante. Oh ! on n'est pas dans du grand cinéma d'action à l'américaine, mais c'est tout aussi intense et visuel, en tout cas « ça marche » !
Ajoutons à ça que l'histoire de Nell, a priori parallèle à celle de Floée, est présentée à plusieurs reprises à la façon d'un leitmotiv, qui interpelle dès lors d'autant plus: cette technique littéraire est particulièrement intéressante dans le contexte de ce livre - et sans doute dans bien d'autres, mais ça le première fois que je la remarquais de façon aussi claire et appropriée.
Nicolas Michel profite de tout ça pour aborder toute une série de thématiques qui se complètent, se chevauchent, parfois à peine effleurées, parfois plus creusées, suscitant toujours la réflexion chez le lecteur : l'écologie (dans l'espoir qu'elle veut faire naître pour une terre plus belle, comme dans ses excès), l'exploitation des fonds marins au mépris de toute vie, l'embrigadement dans ce qui ressemble de plus en plus à une secte, l'eugénisme, etc. mais aussi la beauté de la vie dans tous ses états, et certainement dans les fonds marins encore si peu connus, ou encore la solidarité entre des gens de diverses origines rassemblés autour d'un but commun, sans oublier un clin d'oeil ( ?) aux peuples autochtones des États-Unis, justement pour leur respect spontané de leur environnement… et leur extermination par l'homme blanc qui se croyait tellement supérieur : tout un symbole !
J'ai aussi beaucoup apprécié les passages où on nous parle d'écholocation, et en particulier la communication chez les cachalots. En effet, non seulement l'auteur intègre ces éléments pour servir (de façon réaliste et très réussie !) son intrigue, mais en plus, il est évident que c'est bien documenté, que ce n'est pas « n'importe quoi ». Ainsi, c'est vraiment intéressant, pourtant ça ne paraît jamais asséné d'une quelconque façon encyclopédique.
Les nouvelles technologies sont également très présentes, et notamment une IA très intrusive (parce qu'elle a été créée pour ça) – et là aussi c'est un clin d'oeil : qui n'a pas lu, ou au minimum entendu parler, de « 1984 » ? (pile un siècle avant la naissance de Floée, comme par hasard…)
Bref, ce livre a été une très belle surprise, entre célébration des fonds marins et de tous ses « habitants », et dénonciation des risques générés par leur surexploitation. Il touche en même temps à toute une série d'autres thèmes sensibles (eugénisme, sectarisme, liberté de l'individu de choisir son destin, etc.), les intégrant parfaitement à son intrigue et à ses personnages, dont les deux protagonistes se révèlent réellement attachantes. Enfin, il est évident que certains passages sont solidement documentés, sans jamais devenir lourds, sans doute à cause d'un juste dosage entre réflexion, et une action bien menée, piquante et visuelle, qui ne se dément jamais tout au long de l'histoire.