"J'ai choisi la Belgique à cause du climat..." est la réplique que le réfugié chilien, Jaime Morales, fournit comme réponse au délégué du Haut Commissariat lors de son interrogatoire, à la question : "Aviez-vous des raisons particulières de choisir la Belgique comme
terre d'asile ?"
Une réponse que l'interrogateur de l'Office des Étrangers belge n'a probablement pas entendue souvent dans sa carrière !
Je me félicite du beau cadeau du livre, gracieusement offert par mon amie Cécile - latina sur Babelio - du grand humaniste,
Pierre Mertens, avec qui nos chemins se sont un jour croisés lors d'une manifestation d'
Amnesty International à Bruxelles, il y a une quinzaine d'années . Je garde, en tout cas, de son puissant exposé un souvenir impérissable.
Pierre Mertens, né à Berchem-Sainte-Agathe (une des 19 communes de Bruxelles) en 1939, a, en effet, beaucoup de mérites comme penseur original, juriste international, sociologue réputé, critique littéraire écouté et auteur fort apprécié. Cet académicien de littérature française de Belgique (depuis 1989), détenteur de nombreux prix, tel le Prix Médicis en 1987 pour son oeuvre "
Les éblouissements", a cependant été à rude école. Comme enfant d'un père résistant et d'une mère juive, le petit Pierre a vécu quelques années caché. Ce qui ne l'a nullement empêché d'écrire de modestes pièces de théâtre pour son école... dès ses 11 ans. Son père, un journaliste mélomane, et sa mère, une biologiste et pianiste, lui ont incontestablement laissé de solides atouts.
Prochainement, je compte lire son oeuvre "
Les Bons Offices", paru en 1974, et dans laquelle Paul Sanchotte (contraction de Sancho et Quichotte) veut lutter contre les malheurs de son temps : le déracinement des Palestiniens, le génocide biafrais, l'exécution des Rosenberg, la catastrophe minière de Marcinelle, près de Charleroi, en 1956, etc. Son ouvrage "
Une paix royale", qui lui a valu l'indignation de la princesse Lilian, l'épouse de
Léopold III, et leur fils Alexandre (que j'ai connu comme étudiant à Louvain), j'ai moins apprécié, mais cet avis n'engage que moi.
Quoique ce ne soit sûrement pas le climat qui ait attiré notre Chilien chez nous, je présume que c'est plutôt le hasard et peut-être même la réputation de terre d'accueil de notre royaume, qui font que ce 11 mai 1977 c'est à Bruxelles que Jaime Morales débarque muni de faux papiers au nom de Serge Horowitz, fabriqués à l'initiative du mouvement belge "Liberté - Action" dont le président souhaite la bienvenue à notre ingénieur latino-américain.
Il faut se rappeler que c'est la période de la dictature du général Augusto Pinochet (1915-2006), qui a pris les rênes du pouvoir après l'assassinat brutal de Salvador Allende, le 11 septembre 1973, socialiste et médecin élu lui démocratiquement 3 ans avant. Un coup d'État qui a bénéficié de l'appui yankee, n'est-ce pas Mister Kissinger ?
Toujours est-il que cette période a été caractérisée par de dramatiques opérations, comme Condor et Colombo, de détournements de fonds publics (entre autres des lingots d'or pour une valeur de 100 millions de dollars au nom du "presidente"), de tortures des opposants au régime et des hommes et femmes "qui disparaissaient chaque jour à Santiago, à Antofagasta, à Linares, à Arica".
Orfilia Morales, son épouse bien-aimée, "n'avait même pas attendu pour le quitter qu'Allende fût tombé."
Une journaliste essaie de lui faire raconter les sévices qu'on lui a infligés. L'apposition des électrodes sur les parties sensibles du corps, les privations de sommeil et de nourriture, le garrotage du corps nu à un sommier de fer et la tête recouverte d'une cagoule de cuir. Morales préfère se taire. Comme le remarque
Pierre Mertens avec grande lucidité : "sur la pire des abominations, peut-on dire autre chose que de très terrifiantes banalités ?" (page 67). "La torture me fatigue..." a-t-il seulement proféré dans un souffle. le docteur Devos, chez qui Morales doit se présenter, estime que les migraines, les nausées, les insomnies, les sudations nocturnes ne sont ...."rien de plus normal".
De retour à la cité universitaire où il a une chambre, Jaime est confronté aux messages sloganesques qui couvrent les murs du hall d'entrée : "Indépendance pour l'Érythrée, Justice pour les Basques, le Shah assassin" à côté "d'Israël vivra" et "Geneviève, je t'aime !" Assis sur un banc au bois de la Cambre, notre héros retrouve péniblement et lentement une certaine paix de l'âme.
Jaime Morales suit gentiment des cours audiovisuels de Français et rencontre des Latinos qui se sont exilés comme lui, tels Rubén, qui est concierge de nuit dans un hôtel du centre-ville, Carmen, qui est cuisinière dans un hospice, Ernesto qui gagne sa vie comme laveur de vitres et Hugo Lazo Villegas qui a trouvé un boulot à Westende, à la Mer du Nord.
Puis il y a sa rencontre avec la belle Colombienne, Paulina Valenzuela, originaire de Bogotá, qui lui raconte ses misères. Remplacera Paulina l'infidèle Orfilia dans le coeur de notre héros ? À vous de le découvrir mes ami-e-s.
L'ouvrage date de 1978, mais est, grâce à la riche personnalité de son auteur et la triste situation dans le monde, très actuel. Il suffirait presque de remplacer Chiliens par Syriens.
Pierre Mertens a du, comme grand humaniste, s'énerver copieusement de l'attitude du dernier gouvernement belge, surtout par la Nouvelle Alliance Flamande de Bart de Wever, qui a rejeté l'accord de l'ONU sur la migration (le Pacte de Marrakech du 18 décembre 2018) et la magouille financière par son lamentable (secrétaire d'État à l'Asile et aux Migrations, Theo Francken, dans l'affaire scandaleuse des visas humanitaires "vendus" pour beaucoup de sous sous la table à des réfugiés syriens !