Il n’a pas oublié l’ombre, en définitive, parce qu’elle lui fait penser à la lumière, dans sa retenue, et parce que, la première, elle lui a fait songer à autre chose quand il s’était éveillé. En descendant parmi les siens, il suscite des moqueries et des quolibets, bientôt la colère et la haine. Il n’en a cure. Il sait que son histoire aura une fin, pressentie dès l’éveil, et que, s’il meurt parmi les ombres, c’est pour en avoir éprouvé la lumière.
L’idée de rossignol est le chant de tous les rossignols, l’idée de l’homme est la dignité de tous les hommes, et l’idée de philosophe est la pensée de tous les philosophes. Il n’y a jamais, sur le théâtre du monde, qu’une seule scène, et qu’un seul protagoniste : la tragédie de l’existence était déjà écrite dans la caverne avec son acteur solitaire.
Nous le savons tous au fond de nous. En ouvrant un livre de philosophe, nous déroulons le palimpseste de la mémoire, et nous ravivons à chaque fois les traits effacés du prisonnier de la caverne.
Il faut bien supposer que l'écriture de Platon, issu de son enseignement oral et de ses dialogues, contient une ontologie implicite que la tâche de l'interprète est de dégager et, dans la mesure du possible, de vivre.
Les âmes pieuses remontent à la surface pour vivre dans les îles des Bienheureux.
L’instruction préalable préparait le postulant à voir en Éros la source de l’immortalité ; il s’agit de le conduire maintenant sur « la bonne voie » qui mène à la découverte de la Beauté absolue. Cinq étapes jalonnent, selon une gradation rigoureuse, la conversion de l’initié vers les « vérités parfaites et contemplatives ». En un premier temps, celui qui suit le chemin de l’amour doit aimer un seul beau corps pour engendrer des « paroles de beauté »
Si le philosophe ne prétend à aucun savoir, et en cela il diffère de la plupart des hommes, il reste fidèle à cette mission divine qui lui est impartie : établir la pérennité d’un dialogue arrimé à la vérité en assurant la protection d’une âme qui, laissée à elle-même, se perdrait dans la vacuité des discours.
Sans la garantie d’une justice éternelle qui les surplombe, les hommes sont voués au mal et à la souffrance, et leur force d’âme s’épuise vainement dans leurs indignations. Pour que l’absolu de la dignité humaine soit accompli, il faut qu’il se fonde dans l’absolu de l’indignité : la mort injuste de celui qui a consacré sa vie à la justice.
Si l’homme n’est pas son âme, si l’âme n’est pas immortelle, et si une vie heureuse n’échoit pas aux hommes bons après leur mort, ce que nous nommons « justice » est un mot vide de sens.
Dès lors, philosopher, c’est apprendre à mourir parce que philosopher, c’est se révolter contre cette injustice ultime qui, dénuée de tout salut, pérenniserait les violences antérieures et les reproduirait dans la boucle inlassable du temps.