Ceux qui font l'histoire des musiques populaires sont avant tout des fans transis. Ce n'est pas un hasard si on compte parmi eux autant d'ex-présidents de fan-clubs : Morrissey a été celui des New York Dolls en Angleterre ; Lars Ulrich (Metallica) celui de Motörhead aux États-Unis et Jeffrey Lee Pierce (Gun Club) celui de Blondie. La musique est entrée dans leur vie et s'est imposée comme le pivot de leur construction identitaire. Leur engagement total dans l'admiration d'idoles musicales s'est épanoui bien au-delà de la stricte passion ordinaire : ils en ont fait profession. À l'héroïsation des autres se substitue une aspiration croissante à I'héroïsation de soi - mouvement dialectique qui permet d'échapper à la condition de péquenots à laquelle ils semblaient voués avant que la musique ne les tire d'affaire.
Le schème du désir mimétique est â l'origine de la plupart de telles vocations. « Au lycée, j'avais l'impression d'être un monstre et je voulais ressembler à Boy George », proclame, à bon droit, Lady Gaga. On comprend mieux pourquoi les noms de scène que se choisissent les musiciens rendent souvent hommage à d'illustres prédécesseurs. Certains remploient des patronymes : Pink Floyd (noms des bluesmen américains Pink Anderson et Floyd Council) ; The Ramones (Paul RaMon était le pseudo de Paul McCartney aux débuts des Beatles) ; ZZ Top (d'après le nom du bluesman Z.Z Hill) ; Elvis Costello dont le prénom est emprunté à qui on sait. D'autres reconvertissent des titres de chansons en saints patrons : The Pretty Things, d'après « Pretty Thing » de Bo Diddley; The Pretenders, d'après « The Great Pretender » des Platters; Lady Gaga, d'après «Radio Ga Ga» de Queen ; The Rolling Stones, « I'm a rollin' stone » chantait Muddy Waters dans « Mannish Boy ».
(...)
Ce qu'on a écouté pendant des heures, on cherche à le reproduire soi-même, à le réincarner. Pour faire monter le plaisir, on s'approprie aussi un répertoire d'attitudes, une garde-robe ad hoc, un style de vie et un rapport au monde. Avec un peu de talent et pas mal de chance, la magie propédeutique finit par opérer, pour une poignée d'élus seulement: du jour au lendemain une pâle copie de Muddy Waters déchaîne les foules avec The Rolling Stones, un imitateur des Drifters dans un trio de gospel se métamorphose en James Brown, un chanteur rockabilly à rouflaquettes devient Johnny Cash, une sauvageonne biberonnée aux grandes voix du jazz fait le plein de Grammy Awards (Amy Winehouse), un Vendéen fondu de Curtis Mayfield et d'Al Green se transfigure en Philippe Katerine, un clone de John Lennon - version tête à claques - accède à la célébrité avec Oasis.
A l'époque, le blondinet surexcité (Jerry Lee Lewis) aurait pu être le meilleur rival du King s'il avait attendu un peu avant de passer la bague au doigt (en troisièmes noces) à sa cousine de 13 ans.
Le scandale que ce mariage provoqua en Angleterre, où il était en tournée, finit par rejaillir aux Etats-Unis et plomber méchamment sa carrière
Soit dit en passant, personne ne trouva rien à redire, peu de temps après, quand Elvis se mit à la colle avec Priscilla, 14 ans (plus avisé ou mieux conseillé, il avait patienté jusqu'aux vingt et un ans de sa dulcinée pour convoler en justes noces).
American Rock Trip -Stand-up conférence Stéphane Malfettes- Le Vauban Brest 29/02/2012