Le titre poétique du dernier roman d'
Andreï Makine, «
L'ancien calendrier d'un amour », fait référence au passage du calendrier julien au calendrier grégorien décidé par les bolcheviques en janvier 1918.
Un décret signé par
Lénine a établi que juste après le 31 janvier 1918, la Russie passerait directement au 14 février, effaçant pour toujours deux semaines de l'histoire du pays. Pour justifier ce changement, le nouveau régime communiste évoqua la nécessité « d'établir en Russie un système de décompte du temps similaire à presque tous les peuples culturels ».
La référence à l'ancien calendrier est devenue une forme de métaphore désignant la Russie d'antan. Elle prend tout son sens dans le roman, où le héros vit une histoire d'amour clandestine quelques mois après le passage du calendrier de la Russie impériale à la nouvelle chronologie imposée par les « constructeurs de l'avenir radieux ».
«
L'ancien calendrier d'un amour » est une prouesse de concision. Dans ce court roman,
Andreï Makine dessine une fresque qui englobe la révolution russe, la première guerre mondiale, l'entre-deux-guerres, ainsi que la seconde guerre, au travers de la destinée improbable de Valdas Bataeff. L'ouvrage mêle avec bonheur l'Histoire avec un grand H avec l'histoire de Valdas, né à la fin du XIXème siècle, dont le destin se fracassera, comme celui de tant d'hommes de sa génération, sur la violence inouïe du siècle le plus tragique de l'Histoire.
Le récit débute en août 1913. Agé de quinze ans, Valdas a grandi dans une famille bourgeoise, choyé par son père avocat, et sa jeune belle-mère Léra. La famille aisée passe ses vacances sur le littoral de la Crimée.
« Dans la belle villa Alizé, le père oubliait ses plaidoiries et la jeune Léra concoctait de savants panachés d'invités, mêlant les vieux birbes, parmi la clientèle de son mari, et les artistes, prudemment rebelles ».
Le jeune adolescent commence à saisir l'hypocrisie de la comédie humaine que joue cette haute société russe inconsciente du déferlement de violence qui menace. Au cours d'une promenade nocturne longeant la mer, il rencontre pour la première fois
Taïa, une jeune femme de quelques années son aînée qui s'adonne au trafic de tabac de contrebande.
Valdas ne le sait pas encore, mais ses premiers émois sont aussi ses derniers moments d'insouciance. La douceur de cette fin d'été 1913 marque la fin d'une époque. le bruit et la fureur de la première guerre et de la révolution emportent tout sur leur passage. le héros découvre l'horreur absolue de la guerre civile en s'engageant auprès des Russes blancs, dans l'armée contre-révolutionnaire qui sera laminée par les bolcheviques.
Avant de devoir quitter sa mère patrie pour rejoindre la France, il vit à l'automne 1918 une brève histoire d'amour avec la belle
Taïa. Au cours de ce moment « hors du temps », où Valdas se croit parfois encore dans « l'ancien calendrier », il vit un amour absolu, qui hantera à jamais ses nuits, et découvre un bonheur traversé par une lumière qui ne cessera d'éclairer une destinée foudroyée par l'Histoire.
«
L'ancien calendrier d'un amour » n'est pas seulement une fresque historique qui revisite avec talent un siècle sanglant en confrontant son héros au coeur pur au tragique de l'Histoire. L'auteur nous propose dans ce très beau roman une forme de méditation sur le rôle de révélateur de l'âme humaine que jouent ces moments de tempêtes, les guerres comme les révolutions, qui voient surgir la cruauté, la couardise et la trahison mais aussi le sens de l'honneur, le courage et le sacrifice.
Le titre de l'un des plus beaux romans de
Blaise Cendrars, «
L'homme foudroyé », nous offre une formule lapidaire qui résume la destinée de Valdas Bataeff. Et pourtant. le dernier ouvrage d'
Andreï Makine tente d'offrir une forme de rédemption à son héros, de donner un sens à une vie ballotée par la fureur d'un siècle terrifiant. Malgré sa brièveté, la pureté de l'histoire d'amour avec
Taïa, ce moment touché par la grâce et délaissé par la pesanteur, « sauve » peut-être le destin improbable de son héros. le roman pose ici une question quasi métaphysique. En accédant, même un instant, à une forme d'infini amoureux, le héros « arrête » le temps, et entrevoit le bonheur serein que lui aurait offert une vie vécue au sein de « l'ancien calendrier ».