Sonnet à Mesme
Ce que j'aime au printemps, je te veux dire, Mesme ;
J'aime à fleurer la rose, et l'œillet, et le thym,
J'aime à faire des vers, et me lever matin
Pour, au chant des oiseaux, chanter celle que j'aime.
En été, dans un val, quand le chaud est extrême
J'aime à baiser sa bouche et toucher son tétin
Et sans faire autre effet, faire un petit festin
Non de chair, mais de fruit, de fraises et de cresme.
Quand l'automne s'approche et le froid vient vers nous
J'aime avec la chastaigne avoir de bon vin doux
Et assis près du feu, faire une chère lye.*
En hiver, je ne puis sortir de la maison,
Si n'est au soir, masqué ; mais, en cette saison,
J'aime fort à coucher dans les bras de ma mie.
Gordes, que ferons-nous ? Aurons-nous point la paix ?
Aurons-nous point la paix quelquefois sur la terre ?
Sur la terre aurons-nous si longuement la guerre,
La guerre qui au peuple est un si pesant faix ?
Je ne vois que soudards, que chevaux et harnois,
Je n’ois que deviser d’entreprendre et conquerre,
Je n’ois plus que clairons, que tumulte et tonnerre
Et rien que rage et sang je n’entends et ne vois.
Les princes aujourd’hui se jouent de nos vies,
Et quand elles nous sont après les biens ravies
Ils n’ont pouvoir ni soin de nous les retourner.
Malheureux sommes-nous de vivre en un tel âge,
Qui nous laissons ainsi de maux environner,
La coupe vient d’autrui, mais nôtre est le dommage.
Ces beaux cheveux dorés, ce beau front spacieux,
Ce teint blanc et vermeil, ce beau sourcil d’ébène,
Cette bouche d’œillets et de musc toute pleine,
Cet œil, ains ce soleil digne de luire aux cieux,
Cette gorge de lys, ce sein délicieux,
Où Vénus à l’ébat ces trois Grâces amène,
Ce beau port de Déesse, et ce chant de Sirène,
Qui tire à soi le cœur des hommes et des dieux :
Ce ris qui peut fléchir le Scythe plus sauvage,
Cet esprit déjà mûr en son verdissant âge,
Et ce parler disert qui coule si très-doux,
Allument celle ardeur qui brûle en ma poitrine,
Dame, pour votre amour, et sont encore en vous,
Grâces qu’à peu de gens la Nature destine.
Sonnet CIII
Je cherche paix, et ne trouve que guerre,
Ores j’ai peur, ores je ne crains rien,
Tantôt du mal et tantôt j’ai du bien,
Je vole au ciel et ne bouge de terre.
Au cœur douteux l’espérance j’enserre,
Puis tout à coup je lui romps le lien,
Je suis à moi et ne puis être mien,
Suivant sans fin qui me fuit et m’enferre.
Je vois sans yeux, je cours sans déplacer,
Libre je suis et me sens enlacer
D’un poil si beau que l’or même il égale.
J’englace au feu, je brûle dedans l’eau,
Je ris en pleurs et ronge mon cerveau
Chantant toujours comme fait la cigale.
Assieds-toi là, Guyon, et me dis des nouvelles,
Nous nous sommes assez embrassés et chéris,
Que dit-on à la cour, que fait-on à Paris ?
Quels seigneurs y voit-on, et quelles damoiselles ?
Verrons-nous point de fin à ces guerres cruelles ?
Le froment et le vin sont-ils point enchéris ?
Et parmi tant de maux ne voit-on point péris
Tant d’emprunts, de taillons, d’impôts et de gabelles ?
As-tu point apporté quelque livre nouveau ?
As-tu point vu Ronsard, ou Pascal, ou Belleau ?
Que dit-on ? que fait-on ? Dis-moi, je te demande :
Le Jeûneur est-il point de parler dispensé ?
Le bâtiment du Louvre est-il fort avancé ?
Que dit-on au palais, et que fait la Normande ?
Olivier de Magny – Sonnet à même
"Ce que j'aime au printemps, je te veux dire, Même ;"
Extrait du recueil Œuvres complètes