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Citations sur Élégie pour Laviolette (10)

Un mystère narquois miroitait avec l'aide du soleil couchant qui balayait fugacement, d'un large pinceau, les monts l'un après l'autre. Les possessions éphémères de l'homme sur terre s'exposaient, offrant à ma recherche leur muette réponse. Les possessions charmantes qu'ils avaient forgées à coup de millénaires et de morts entassés, elles apparaissaient ici presque achevées. Il n'y manquait plus que quelques touches que le temps fournirait.
Et je compris alors pourquoi tous ces morts s'étaient frileusement rassemblés ici, les uns contre les autres. C'était pour continuer à profiter de ce que moi, vivant, je contemplais, saisi, interloqué ; s'enivrer une fois encore de ce que dévoilait, chaque soir, la perspective ouverte par ce soleil oblique.
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Comme un bouquet d'immortelles, je dorlotais en moi depuis longtemps le souvenir de toutes les femmes que j'avais aimées avec la tendresse de la reconnaissance.


Cependant, la seule que je voulusse pour m'accompagner dans ma tombe, c'était la Chabassut. Dans mon florilège particulier, elle voisinait avec la grande Nanon du père Grandet, la servante Félicité dont le coeur était pur, et même la Françoise Normande de Proust sous son bonnet à tuyaux.


La Chabassut était en osmose à l'intérieur de moi. Elle constituait le tissu conjonctif du seul pays que j'avais voulu aimer. Elle descendit avant moi au tombeau. Je l'avais découverte un beau jour dans l'escalier de Popocatépetl, pliée en deux sur l'aspirateur encore en marche.


Les vieilles de notre pays vinrent la veiller dignement. Elles portaient sous le bras une douzaine de cierges pour passer la nuit.


La Viguier, la Martin, la Chaussegros et la Clorinde prirent l'habitude de venir se chauffer au soleil sur la tombe de la Chabassut. Elle parlaient et parlaient comme d'autres au siècle dernier se contentaient de filer en silence. Elles, elles avaient enjolivé l'histoire que je leur avais racontée de mille guirlandes flamboyantes et la perfectionnèrent jusqu'à leur mort.


Parfois, elles s'arrêtaient de parler, faisaient silence toutes ensemble. C'était le monde qu'elles écoutaient chanter. »
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Je ne sais si elles furent sensibles à mes imparfaits du subjonctif mais c'est probable. Le peuple est toujours impressionné par ces excès de grammaire comme s'ils provenaient d'une langue étrangère alors que seule la francerie a su se conserver ce luxe comme un titre de noblesse.
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Elle tenait une de ces épiceries que les voyageurs des firmes d'aujourd'hui ne visitent plus depuis vingt ans. De celles qui renouvellent leur stock de vermicelles fins, d'eau des carmes du frère Mathias, de riz, de café, de sucre, de bouillon Kub et même de rouleaux de réglisse noir à peu près une fois par an.
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C'étaient des âmes simples qui n'avaient envie que de se raconter des histoires où le réel et le supposé leur dessineraient un chatoiement de couleurs propres à les éblouir et depuis qu'elles avaient appris qu'un poète, jadis, désigna leur pays comme le plus beau du monde, elles n'avaient jamais plus eu envie d'aller voir ailleurs si c'était vrai ou faux. Leur vie leur suffisait. Elles n'avaient aucune curiosité pour la scène du monde.
Je les regardais monter péniblement vers moi en zigzaguant parmi les tombes. On eût dit qu'elles s'acheminaient lentement vers leur dernière demeure mais en tout cas, c'était en toute gaieté car j'entendais s'égrener leurs rires.
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Je grimpai pourtant le perron. Un panonceau de tabellion se déployait au-dessus de la porte et celle-ci était grande ouverte comme une invite. Je me trouvai dans un corridor qui donnait sur un escalier orné de portraits d'ancêtres tabellions, lesquels se ressemblaient tous. Vous savez, ces sortes de portraits qu'on ne trouve que chez les riches et qui n'expriment rien. En forme de médaillon, impassibles, auxquels il serait vain, de tenter d'y lire la moindre histoire. Dans ce corridor, une porte matelassée était grande ouverte aussi sur un bureau immense que des cartons verts tapissaient et il y avait un grand fauteuil également vert : c'était le cabinet d'apparat d'un notaire d'autrefois dont la parole était d'Évangile et dont les accessoires étaient faits pour impressionner.
Il n'y avait pas la moindre secrétaire, le moindre clerc dans ce cabinet simplement doté d'une machine à écrire sœur des premiers films muets. Dans l'encoignure à trois pans d'une cheminée s'entrouvrait une porte confidentielle, entrebâillée et matelassée elle aussi. Il en surgit un personnage grand et maigre qui m'était apparu l'autre jour au cimetière. Il grimaçait un sourire qu'il avait préparé pour me rassurer.
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Nulle muraille, pourtant n'enserrait ce champ des morts. Nul portail d'apparat n'en interdisait l'accès. Il n'y avait pas de cyprès, pas le moindre thuya. Il était à vau-l'eau, livré à l'air du temps.
Les morts vaquaient invisibles, dans le bruit lointain d'une vie mourante qu'entretenait à petit feu un quarteron de mortels au-dessus d'eux, dans le barattement des vieilles toitures qui clapotaient sous le vent.
Aucune protection ne les gardait contre l'éternité, mais il était impossible aux renards de les déterrer tant ils étaient soigneusement bâillonnés sous tant de marbre de Carrare qu'on avait pu en voiturer ici.
Il y en avait de porphyre, de sarrancolin, rouge griotte, portor d'Italie, d'autres fleur de pêcher (les plus coûteux). Quelques avares s'étaient frileusement contentés de marbre blanc ou noir.
Entre les monuments, on ne pouvait circuler que malaisément tant le terrain était mesuré, comme si l'espace bénéfique qui permettait un certain confort se jaugeait ici au mètre près.
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Le soir à 17h18, je me mêlais aux ruisseaux humains qui martelaient les trottoirs en un piétinement aussi rapide que le permettait l'endurance de chacun. Dans dix minutes, nous serions un fleuve, une marée, sous les verrières de Saint-Lazare. Tous : les yeux fixes, absents du prochain et du monde, ne pensant qu'à ce « ouf ! » poussé à la descente du train qui nous rendait à chacun notre havre.
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Ai je dit quelque part que je considérais les grands vins comme la suprême aristocratie de la désinvolture et la cuisine solide de nos grands mères comme un moment de la conscience humaine et le tissu conjonctif de l'humanité?
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J'ai toujours su faire l'imbécile et ne jamais trouver humiliant de me tenir à cette attitude.Je m'y exerçais depuis l'enfance et sans cesse me perfectionnais.
Ma sainte mère seule était capable de me percer à jour.Je l'entends encore:"Modeste!me disait-elle,cesse de faire l'imbécile!Tu vois bien qu'avec moi ça ne prend pas!".
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