Obéir… obéir !… Vous n’avez que ce mot à la bouche quand il s’agit des femmes, ces êtres si inférieurs… n’est-ce pas ? Des esclaves !… Nous serions éternellement des esclaves !… Eh bien ! moi, je n’accepte pas ton arrêt… Ta loi n’est pas la mienne, Ahmed. J’ai obéi à mon père tant qu’il était vivant. Mort, je respecte sa mémoire… Mais tu n’as pas le droit de revenir sur ce qu’il a décidé. Je ne t’obéirai pas !… N’y compte point.
Elle avait vingt ans… elle était une femme libre, instruite, avide de vivre, orgueilleuse des prérogatives chèrement conquises… et exaltée d’échapper enfin à ce joug odieux que des siècles de soumission passive avaient imprimé au front courbé des femmes musulmanes.
Demain, ce serait la France où l’attendait ce poste de professeur en quelque lycée de province qu’elle avait brigué. Et là, plus rien ne pourrait l’atteindre.
Pour la première fois, le Berbère sortit de son impassibilité. Le masque haineux, la bouche vociférante, il se répandit en malédictions. Non ! ce n’était pas Aïcha qui était à plaindre, mais bien celle qui, rompant avec toutes les traditions de sa race, prétendait, visage découvert et sous l’habit des femmes d’Europe, vivre loin de la maison de son père, libre et seule… telle une fille de roumi.
La force, toujours la force !… Et c’est avec cela que vous pensez nous contraindre !… Mais cela n’a aucune prise sur moi, mon cher… Moi, j’ai réussi à m’affranchir de votre joug affreux, de vos lois iniques… Je suis libre !… Une femme libre, entends-tu ?… Ici, je suis hors ta griffe… Personne ne pourra m’obliger à te suivre… C’est mon dernier mot…
L’homme ne cilla pas. Il avait cette indolence passive des Orientaux qui s’enveloppe de mystère et d’impénétrabilité.