J'avais l'étiquette de
Jack London comme un écrivain jeunesse et un écrivain d'aventures. Je suis heureuse d'avoir dépassé cette réputation pour découvrir son oeuvre à l'âge adulte. Si je n'ai pas été totalement enthousiasmée par
Croc-Blanc, j'ai été fascinée par
Martin Eden, au point d'ailleurs de ne pas avoir réussi à formuler mon ressenti sous la forme d'une critique.
Même si mon enthousiasme est un peu moindre pour le Loup de mer, c'est à nouveau un grand choc de lecture. Certes, il y a des tempêtes, des contrebandiers, des naufrages, de la survie... A priori, ce serait bien un roman d'aventures maritimes. Mais les aventures ne sont pas voulues, au contraire, par le héros qui est un anti-héros. le début pourrait presque être comique, avec cet intellectuel frêle, ne sachant pas nager, ne connaissant pas le travail manuel - et même le travail tout cours, dans le sens de labeur permettant de gagner sa vie. Ses aventures sont donc des épreuves initiatiques, lui permettant de se transformer physiquement et moralement, de sculpter son corps comme de forger son esprit, de trouver l'amour et son courage. Humpf devient un homme en étant dépouillé de son identité, en sortant de son confort, de sa richesse, de sa classe.
Mais évidemment, le véritable héros, le personnage fascinant et fascinateur, c'est Loup Larsen - le jeu de mots sur son nom dans le titre français se retrouve dans le titre original. Tout à tour poète, ordurier, violent, charmant... il est construit sur les contastes, tout en opposition. S'il n'était qu'une brute, il ne serait pas intéressant. Il est une brute, ou plutôt il est le mâle, l'incarnation de la virilité - n'y a-t-il pas une admiration érotique de Hump quand il décrit le corps nu de Larsen ?. Mais celui-ci a élaboré une philosophie personnelle lui permettant de justifier sa brutalité, son pessimisme, son nihilisme. Et parfois, ce quasi-surhomme redevient humain trop humain, vaincu par ses faiblesses.
L'intrusion de Maud, si elle permet de brusquer le dénouement, n'est pas passionnante - dommage qu'au milieu de tant de théories de la volonté, le personnage féminin s'épanouisse dans la cuisine et la couture, tout en restant habillée en robe et en prenant soin de ses cheveux. Seule femme du roman, elle est secondaire dans le déroulé des événements, mais elle incarne la civilisation, l'humanité, dans ce monde de vagues, de planches de bois, de violences et de colères, ce monde d'hommes dans lequel les animaux ne sont que des proies bonnes à massacrer sans réserve, ce monde de mâles où l'éducation est insuffisante à en faire des hommes bons.