Après la fouille ,on nous apporta nos nouveaux vêtements, de grossières chemises,des vestes et des pantalons aux rayures éclatantes. Jusque -là j'avais toujours cru qu'on n'infligeait à un homme le port de l'uniforme rayé que lorsqu'il avait été reconnu coupable d'un crime.Je n'hésitai pas davantage et revêtus l' insigne de la honte et,pour la première fois, j'exécutai la promenade dégradante des prisonniers.
A la queue leu leu ,les mains sur les épaules de l'homme qui marchait devant ,nous arrivâmes dans un grand hall.Ici on nous rangea contre le mur en une longue file et on nous ordonna de nous découvrir le bras gauche .Un jeune homme étudiant en médecine, qui s'exerçait à son métier sur du bétail tel que nous ,passa devant la rangée. Il vaccinait à peu près quatre fois plus vite que les coiffeurs ne rasaient .Après nous avoir recommandé d'éviter de frotter nos bras à quoi que ce fût et de laisser le sang sécher de façon à former une croûte ,on nous accompagna à nos cellules .Ici mon ami et moi fûmes séparés, mais pas avant qu'il m eût glissé à l'oreille:
--Suce ton vaccin!
Aussitôt que je fus enfermé ,je suçai à fond le vaccin de mon bras et le crachai.Par la suite je vis des hommes qui ,ayant négligé cette précaution, souffraient d'horribles plaies au bras,des trous où j'aurais facilement introduit mon poing.Que n'avaient -ils fait comme moi !( Pages 93/94).
Oh, non ! Croyez-moi, tout n’est pas rose dans la vie des vagabonds du rail !
Un os jeté au chien ne représente pas un acte charitable. La charité, c’est l’os partagé avec le chien lorsqu’on est aussi affamé que lui.
La manière dont sont traités les hommes est tout simplement une des très moindres horreurs impubliables du pénitencier du comté d'Erié. Je dis « impubliables » mais je devrais plutôt dire « impensables ». Elles étaient impensables pour moi jusqu'à ce que je les voie, et pourtant je n'étais pas une poule mouillée ; je connaissais déjà les aléas du monde et les horribles abysses de la déchéance humaine. Il faudrait lâcher une boule de plomb très lourde pour qu'elle atteigne le fond de l'océan, soit le comté d'Erié, et je ne fais qu'effleurer légèrement et facétieusement la surface des choses telles que je les ai vues là-bas.
Je possède par bonheur une sorte de fluide pénétrant et je m’accorde suffisamment avec la vie pour me trouver à l’aise un peu partout.
La fonction propre de l'homme est de vivre et non d'exister.
Maintes fois, à travers les Etats-Unis, on m'a refusé du pain dans les maisons cossues sur la colline, mais toujours on m'en a offert, près du ruisseau ou du marécage, dans la petite cabane aux carreaux cassés remplacés par des chiffons, où l'on aperçoit la mère au visage fatigué et ridé par le labeur.
Dans le pays du hobo, le visage de la vie est protéiforme, c'est une fantasmagorie toujours variée, où l'impossible arrive et où l’inattendu bondit des buissons à chaque tournant de la route. Le vagabond ne sait jamais ce qui va se produire à l'instant suivant : voilà pourquoi il ne songe qu'au moment présent. Ayant appris la futilité de l'effort suivi, il savoure la joie de se laisser entraîner aux caprices du hasard.
Un os jeté au chien ne représente pas un acte charitable. La charité, c'est l'os partagé avec le chien lorsqu'on est aussi affamé que lui.
[...] ils étaient cinq contre moi, soutenus par la majesté de la loi et la puissance d'une grosse compagnie, et je les tiens malgré tout en échec.