Quoi de plus universel, communément partagé que la première nuit d'un couple, que la première relation sexuelle entre deux êtres ? Une chambre, un lit, se déshabiller, se coucher, se rapprocher physiquement. On imagine facilement. Mais aussi, quoi de plus mystérieux dans cet acte ? Les personnes concernées ne racontent pas ce moment intime, ou ne donnent que quelques détails allusifs, ce qui complique le travail de l'historien.
Ici,
Aïcha Limbada étudie
la nuit de noces, montrant que ce n'est pas un objet si universel que ça, et qu'elle a bien une histoire. J'ai ainsi particulièrement apprécié son introduction, où elle explique comment faire l'histoire d'un moment si intime et en même temps qui concerne tant de monde, en l'inscrivant dans un cadre spatio-temporel, la France du XIXème siècle. Pour cela, il lui faut des sources, et elle en a trouvé : traités scientifiques, manuels destinés à l'éducation des jeunes filles, cartes postales grivoises, romans et pièces de boulevards, archives du Vatican. Des couples écrivent aux tribunaux écclésiastiques pour demander la dissolution de leur mariage - alors que le divorce civil est interdit - pour non-consommation. Pour justifier leur requête, ils insistent sur les dysfonctionnements de leur nuit de noce, sur ce qui s'est écarté de la norme.
Tout le cadre - l'avant, le pendant et l'après - de
la nuit de noces est donc analysé : la tenue de la mariée - voile, couronne de fleurs d'oranger comme symbole de pureté, lingerie trop serrée qu'il peut être difficile d'ôter..., le lieu du premier rapport avec la décoration éventuelle de la chambre, la consommation à proximité ou non des familles - d'où la pratique du voyage de noces, pour s'éloigner de regards pesants ; le rapport peut donc avoir lieu à l'hôtel ou même dans le train. le rapprochement physique de fiancés qui parfois jmne se sont jamais fréquentes seuls, voire jamais embrassés peut apporter des surprises : odeurs corporelles, manque d'hygiène...
Surtout, ce qui m'a marquée, c'est le "viol légal" qu'est le mariage au XIXème siècle, avec une différence très forte entre les sexes. La jeune fille doit être une "oie blanche", vierge de corps et d'esprit, ne connaissant rien à la sexualité, ne connaissant parfois même pas son propre corps et son fonctionnement, ne comprenant pas les quelques conseils etouffés et émus que lui prodiguent sa mère dans les dernières minutes, se résumant à " obéis à tout ce que te demandera ton mari". le mari, lui, est, selon les normes, déjà experimenté sexuellement, souvent plus âgé, habitué à un rôle de domination sociale des hommes sur les femmes. Dans ces conditions, surtout dans un mariage sans amour, où peut bien être le consentement ? Il est encore souvent remis en cause aujourd'hui, au XIXème siècle, il est peu entendu, même si certains actes outrepassant les normes sont de plus en plus condamnés - droguer la jeune épouse avant l'acte, lui imposer une sodomie...
Cette recherche mele histoires sociale, culturelle, de la sexualité, du genre... de façon intéressante, révoltante aussi parfois, tout cela pour un livre passionnant.