Impatience comblée,
Curiosité satisfaite,
Voilà enfin le troisième volume de cette nouvelle collection qui a tout pour séduire, comme la collection "le roman d'un chef d'oeuvre"
Donc après Vénus, Oedipe, voici Judith figure biblique. Et le résultat est tout simplement magnifique
Texte remarquablement écrit, reproduction d'
oeuvres d'art splendide.
Sublime idée de positionner dans les 2 rabats :
Judith et Holopherne ou Judith décapitant Holopherne de Caravage et
Judith décapitant Holopherne d'
Artemisia Gentileschi.
Et pour illustrer le texte Botticelli,
Michel-Ange, Mantegna, Verne un régal pour les yeux.
Pour mémoire voici ce que l'on retrouve dans le Livre de Judith, dans l'épisode marqué les esprits :
"Quand il se fit tard, ses officiers se hâtèrent de partir. Bagoas ferma la tente de l'extérieur, après avoir éconduit d'auprès de son maître ceux qui s'y trouvaient encore. Ils allèrent se coucher, fatigués par l'excès de boisson, et Judith fut laissée seule dans la tente avec Holopherne effondré sur son lit, noyé dans le vin. Judith dit alors à sa servante de se tenir dehors, près de la chambre à coucher, et d'attendre sa sortie comme elle le faisait chaque jour. Elle avait d'ailleurs eu soin de dire qu'elle sortirait pour sa prière et avait parlé le même sens à Bagoas.
Tous s'en étaient allés de chez Holopherne et nul, petit ou grand, n'avait été laissé dans la chambre à coucher. Debout près du lit Judith dit en elle-même :
”Seigneur, Dieu de toute force,
en cette heure, favorise l'oeuvre de mes mains
pour l'exaltation de Jérusalem.
C'est maintenant le moment
de ressaisir ton héritage
et de réaliser mes plans
pour écraser les ennemis levés contre nous.”
ElIe s'avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d'Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s'approchant de la couche elle saisit la chevelure de I'homme et dit : « Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d'Israël ! » Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détacha sa tète. Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes. Peu après elle sortit et donna la tête d'Holopherne à sa servante, qui la mit dans la besace à vivres, et toutes deux sortirent du camp comme elles avaient coutume de le faire pour aller prier. Une fois le camp traversé elles contournèrent le ravin, gravirent la pente de Béthulie et parvinrent aux portes."
Commençons par ce qu'en dit
Roland Barthes qui a écrit : "le livre de Judith figure dans la Bible des catholiques, où il fut admis tardivement, non dans celle des protestants. C'est peut-être que sa forme générale est celle d'une oeuvre très littéraire. J'appellerai cette histoire un récit fort. Qu'est-ce qu'un récit fort ? . Un récit où l'on trouve à la fois une bonne performance structurale et une émotion morale et/ou sensuelle. Comme récit fort cette histoire a essaimé au long dew siècles dans toutes les formes possibles de narration des poèmes, des ballades, des drames, des oratorio, un opéra et bien sûr des peintures figuratives"
Au rang des représentations, celle qui surpasse les autres, à mon sens : celle de Caravage.
Voici comment l'interprète
Dominique Fernandez dans son sublime roman :
"Je traversais une période d'entente si parfaite avec Mario, notre « idylle », bien que je déteste ce mot, était si réelle, que je décidai de suivre à la lettre les termes de la Bible, sans me permettre aucun dérapage qui m'eût attiré de nouveaux ennuis. Mon premier soin fut de relire le le Livre de Judith et de comparer le texte des Ecritures aux peintures de mes devanciers. Je disposais d'une estampe du tableau de Botticelli et d'une lithographie de celui de Mantegna. Nous retournâmes à la chapelle Sixtine.
Michel-Ange a représenté la scène, au panache du mur d'entrée. Sa fresque n'est pas moins approximative que les tableaux de Botticelli et de Mantegna.
Choix de l'arme. Une épée romaine, pour un général assyrien ? « Elle s'avança alors vers la traverse du lit qui était proche de la tête d'Holopherne et en détacha le cimeterre dont il avait coutume de se servir. » Dans ma collection d'armes, le cimeterre ne figurait pas. J'envoyai Mario fouiller dans les magasins de brocante, via dei Coronari, puis chez les antiquaires, via Giulia. Il se fit donner par le marchand un certificat, en foi duquel il emportait non pas une arme de combat, mais un accessoire d'atelier. Malheur en effet à qui serait surpris dans la rue avec cette variété orientale de sabre, dont la lame s'élargit vers la pointe et se recourbe en demi-lune !
Choix du moment. Botticelli et
Michel-Ange ont peint, non le crime lui-même, mais la suite immédiate du crime, lorsque Judith, escortée de sa servante qui emporte la tête du mort sur un plat, quitte d'un pas tranquille le lieu du meurtre. Pourquoi esquiver la scène de l'assassinat ? Peur du sang? Horreur de l'horrible? Refus de se salir les mains ? Choisir de peindre la sérénité qui résulte de l'acte accompli, c'est affadir la sauvagerie du texte biblique. « S'approchant de la couche elle saisit la chevelure de l'homme et dit : “Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d'Israël !” Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détacha sa tête. »
« de toute sa force », « par deux fois », la seconde fois étant la bonne : moi, c'est cet instant où elle décapite et fait sauter la tête que j'ai peint. La main gauche de Judith saisit les cheveux d'Holopherne, la main droite enfonce le cimeterre dans le cou, le sang jaillit de la gorge tranchée, les yeux révulsés et le cri qui tord la bouche du supplicié soulignent dans quelle épouvante il est mort.
Je n'eus pas besoin d'indiquer à la signora Pedrotto son jeu de physionomie : elle prit d'elle-même, en voyant la partie du tableau déjà peinte, un air si effaré que je jugeai mon ouvrage réussi.
Choix de la posture d'Holopherne.
Michel-Ange, à la suite de Mantegna et de Botticelli, a représenté le général de Nabuchodonosor allongé sur le dos. le texte dit
le contraire. Pour éluder la promesse qu'elle lui a faite, Judith prend la prend la précaution d'enivrer Holopherne. « Il était sous le charme et en proie au désir, aussi avala-t-il une telle quantité de vin qu'en aucun jour de sa vie il n'en avait tant absorbé. » Après le repas, « Judith fut laissée seule dans la tente avec Holopherne, lequel était tombé en avant sur le lit, effondré ». Tombé en avant veut dire qu'il était à plat ventre, cette indication très précise ne devrait pas être négligée. de « sur le dos » à « tombé en avant », il y a la différence d'une position où ce que la femme a promis reste possible, à une posture qui l'empêcherait, même si elle le voulait, de tenir son engagement. Un homme « effondré » sur son sexe n'a plus les moyens d'en tirer du plaisir.
Ce tableau me donna beaucoup de peine. Essayez donc de couper la gorge à un homme affalé sur le ventre ! Il m'a fallu tordre la tête à Holopherne pour dégager le devant du cou et permettre à Judith d'y enfoncer l'épée."
Alain le Nineze nous le rappelle l'histoire de Judith est légendaire. Dans le récit biblique l'inscription littéraire est vague ou carrément fantaisiste la vile de Béthulie n'existe pas, Nabuchodonosor est roi des chaldéens à Babylone et non des Assyriens à Ninive, pas de général se prénommant Holopherne, Judith est inconnue de l'ancien Testament. C' est donc une histoire dans un espace et un temps fictifs. C'est d'ailleurs en 1545 au concile de Trente que ce texte deviendra canon. Mais il faut plutôt considérer ce texte comme une allégorie la revanche du faible sur le fort.
Levi-Strauss a écrit "un mythe est la somme de ses variantes et bien le livre de Judith est à l'origine d'un mythe", et a donc toute sa place dans cette collection appelée a devenir elle-même mythique