La constance du jardinier /
John le Carré
Tessa Quayle, jeune et belle avocate anglaise engagée dans l'humanitaire, mère Teresa des bidonville de Nairobi, est retrouvée morte, assassinée sauvagement sur les rives du lac Turkana dans le nord du Kénya. Noah son chauffeur kényan est également mort, décapité. Arnold Bluhm, docteur en médecine, personnage assez secret, fils adoptif congolais d'un riche couple d'exploitants miniers, lui aussi engagé dans l'humanitaire, qui les accompagnait, reste introuvable.
Justin Quayle, passionné de jardinage, l'époux de Tessa est diplomate à Nairobi. C'est un électrochoc pour lui quand Sandy Woodrow, premier conseiller à la chancellerie, lui apprend la nouvelle. Il revoit le visage juvénile de Tessa, qui, il l'avait remarqué, se durcissait de jour en jour sous le poids d'un labeur qui l'accaparait dans son combat contre la misère et les magouilles de toutes sortes, son regard brillant d'une lueur zélatrice.
L'enquête menée par les policiers Rob et Lesley commence par un long interrogatoire de Woodrow qui connaissait bien Tessa et en était même amoureux. D'aucuns disent que Tessa aurait de nombreux amants et une vie privée tumultueuse. Jalousie ou médisance ? Justin n'en a jamais rien cru.
Ont lieu les obsèques où les journalistes s'en donnent à coeur joie pour mettre en avant le cliché pour lequel ils sont venus : des porteurs noirs descendent dans la terre africaine le cercueil de la femme blanche assassinée, sous le regard du mari « trompé ».
Justin rentre en Angleterre et dans l'avion se remémore l'interrogatoire mené par Rob et Lesley juste avant son départ. D'emblée ils le soupçonnent d'être le commanditaire d'un contrat, mais faute de preuves le laissent partir. D'autres interrogatoires l'attendent à Londres au Foreign Office.
On remarquera la très habile construction de l'auteur pour mettre en scène les interrogatoires de Sandy et de Justin, afin de ménager un suspens constant. Et puis les commentaires des intervenants sont très intéressants quand d'aucuns affirment que l'aide au tiers monde n'est qu'aune autre forme d'exploitation, les vrais bénéficiaires étant les pays qui avancent l'argent à crédit, les politiciens et officiels africains qui touchent d'énormes pots de vin, et les industriels et marchands d'armes occidentaux qui s'en mettent plein les poches.
Les laboratoires pharmaceutiques étaient dans le collimateur de Tessa et les états qui sont à leur botte. « On sait que l'OMS étant financée par l'Amérique, elle favorise les multinationales, vénère les profits et déteste les décisions militantes…Qui vient aux réunions de l'OMS ? Des lobbyistes, des attachés de presse des grands laboratoires…Or les pays du tiers monde ne sont pas évolués. Ils n'ont ni argent ni expérience. Grâce au langage et aux manoeuvres diplomatiques, les lobbyistes les embobinent sans problème. »
Après un bref séjour à l'île d'Elbe, berceau de famille de Tessa, afin de récupérer quelques documents importants et se reposer, Justin gagne l'Allemagne dans le but d'éclaircir certains points auprès d'instances qui s'acharnent à dénoncer les méfaits de l'industrie pharmaceutique dans le tiers monde. Justin le solitaire ne recevant d'ordre de personne, Justin l'exalté sur le sentier de la guerre tout en conservant son flegme très britannique, part en croisade, sillonnant le monde à la recherche de la vérité sur la mort de sa femme.
Un roman qui aborde nombre de questions très actuelles, montrant notamment les pratiques lamentables des pays riches envers le continent africain, et aussi une très belle histoire d'amour. Un roman engagé de John le Carré qui toutefois présente quelques faiblesses à mon sens : d'abord la lenteur de la progression de ce qui se veut un thriller avec peut-être un manque de rebondissements, ensuite le manque de profondeur de certains personnages, et enfin le nombres de ces personnages, qui fait que l'ensemble à certains moments manque de clarté. La fin du récit également m'a surpris.