Thomas Edward Lawrence (qui se fera connaître plus tard sous le nom de Lawrence d'Arabie) visita dans sa jeunesse les châteaux forts anglais et gallois, puis ceux de France, notamment au cours d'un véritable tour à bicyclette durant l'été 1908, avant d'aborder, de juillet à fin septembre 1909, après une longue et sérieuse préparation, les châteaux élevés par les Croisés en Palestine, au Liban, en Syrie et jusqu'à la frontière de celle-ci avec l'actuelle Turquie. Il fit de ses lectures observations, reportages photographiques, dessins, plans et réflexions personnelles la base d'un mémoire qui devait lui permettre d'accéder en 1910 au grade de Bachelor of Arts. Son écrit de soutien intitulé : L'influence des Croisades sur l'architecture militaire européenne à la fin du XIIe siècle dit en fait tout le contraire de ce que le titre semblait annoncer. C'était une manière de voir les choses tout à fait originale au début du XXe siècle, et cependant l'universitaire C.T. Atkinson s'il jugea le travail bien présenté n'y trouva rien de formidable, ce qui n'était pas le point de vue des professeurs de Lawrence, plutôt enthousiastes et encourageants pour leur part. Aujourd'hui, malgré quelques sourires des castelologues et des historiens (je pense en particulier au spécialiste incontesté de l'histoire des Templiers,
Alain Demurger), j'estime qu'il est nécessaire de réparer cette injustice à l'égard de Lawrence, qui ne me semble pas avoir fait un travail de potache, même si son approche ne répond pas vraiment à une méthodologie scientifique. Car T.E. Lawrence a quand même bien eu des intuitions : au contraire de ce que pensaient et de ce que pensent encore beaucoup des gens qui se penchent sur la question et qui tiennent pour chose certaine que les Croisés ont beaucoup appris de leur confrontation avec les Byzantins et les Musulmans en matière d'architecture militaire, et que les guerriers "francs" ont ramené en Europe occidentale des "recettes" apprises au Moyen-Orient, ce que nul ne niera, Lawrence a très finement noté que les guerriers partis vers ce qui allait devenir les États latins implantés sur les bords orientaux de la Méditerranée, apportèrent avec eux le plan quadrangulaire des tours maîtresses en pierre qui s'érigeaient alors partout en Europe. En fait, les deux choses sont vraies ensemble, et il a dû y avoir des courants dans les deux sens. Cependant, la rareté du bois comme matériau de construction au Moyen-Orient a fait que les voûtes de pierre ont presque immédiatement supplanté les planchers de bois encore fréquemment répandus en Europe pour séparer niveaux et étages. Quant au passage du plan carré ou rectangulaire des donjons et tours de séquence et d'angle des enceintes, au plan cylindrique parfait ou demi-circulaire avec ouverture à la gorge, avec essais intermédiaires de plans polygonaux, il a bien dû passer par un chassé-croisé continu entre l'Europe et les États des Croisés et par des innovations régulières. Au total, le travail plus ou moins rigoureux de Lawrence ne peut pas être négligé et mérite bien de la part de ceux qui s'intéressent à ces questions une attention particulière.
Maurice Larès était bien parti pour le démontrer quand sa santé et le soin que prenait de lui son épouse ont interrompu son effort dans ce sens. Une traduction du mémoire de Lawrence était en effet en cours de réalisation, mais cette démarche a brutalement pris fin. Il s'agirait à présent de la reprendre et d'accompagner cette version française d'un bon appareil de notes critiques.
François Sarindar, auteur de
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010).